Kim Jee-Woon est devenu un des emblèmes du nouveau cinéma coréen avec le film d’épouvante Deux sœurs. Deux ans plus tard, il s’invite sur les terres du film noir et de gangster. Dans A Bittersweet Life, tous les codes de genre sont de la partie et Kim Jee-Woon, auteur éclectique et virtuose, prend plaisir à les aligner avec grâce et précision.


Il semble aussi s’amuser à les torpiller, à rendre toute l’essence de ces deux genres banale. Se déroule un concert mélancolique serein, une tragédie posée, compulsivement futile et superbe, tout en se permettant des pointes d’ironie acides. Le scénario est allégé et opportuniste (Sun Woo sait toujours où retrouver ses adversaires), la route aplanie (la fille est fade et sert de prétexte à ce beau déploiement et ces pseudo-sentiments). Kim Jee-Woon apparaît comme un formaliste malicieux et blasé à la fois. Le fatalisme de A Bittersweet Life est romantique cependant.


Le film se donne comme un conte adulte refusant théoriquement mensonge et possibilités d’embellissement, sans renoncer à l’agrément narcissique qu’il assume via une inflation cartoonesque dans le classicisme. Il raconte cette histoire désenchantée d’un homme soudain seul face au système pour lequel il s’est dévoué. Lâché, trahi par son unique cadre de référence au moment où il se sentait enfin ouvert à une perspective supérieure : le mort-vivant omnipotent, le petit marquis prestigieux, avait découvert l’amour. Là où il ne fallait pas. Or le temps lui échappe, alors le songe justifie l’exercice de style et les outrances spectaculaires, donc des bagarres seul contre tous dignes de Old Boy.


Œuvre élégante : c’est acquis. Elle ne l’est pas seulement par le contexte (univers du luxe et de la pègre), mais également par se mise en scène très étudiée, raffinée et millimétrée. Elle l’est enfin par cette combinaison singulière de pudeur et de violence sèche, de sophistication et de résignation vitale, que Kim Jee-Woon a réaffirmé dans J’ai rencontré le Diable. Lui aussi sera vain et pourtant enchanteur, mais plus stimulant car en chemin, les embûches seront autrement féroces.


https://zogarok.wordpress.com/2017/07/27/a-bittersweet-life/

Créée

le 14 nov. 2019

Critique lue 278 fois

3 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 278 fois

3

D'autres avis sur A Bittersweet Life

A Bittersweet Life
Gothic
8

"A Bittersweet Symphony" ou la verve de Lee Byung-Hun.

Attention, avant d'aller plus loin, quelques spoils (très légers cela étant) ci-dessous. Le cinéma coréen n'en finit pas de me surprendre à mesure de mes découvertes. Cela faisait un bon moment que...

le 10 févr. 2013

66 j'aime

15

A Bittersweet Life
Djokaire
7

A Bittersweet Movie

Punch. C'est le mot qui nous vient à l'esprit une fois que le générique défile devant nos yeux ébahis. Les noms apparaissent, disparaissent alors que l'on garde le même en tête : claque. Grosse...

le 9 déc. 2013

60 j'aime

24

A Bittersweet Life
Sergent_Pepper
6

La vengeance est un plat qui se réchauffe.

A Bittersweet Life fait partie de ces films qui devraient être, dans leur genre, vus en premier pour qu’on puisse les honorer entièrement ; désormais entouré de toute une multitude de comparses, il a...

le 6 févr. 2016

49 j'aime

4

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2