Impossible de prétendre à l'originalité après toutes les excellentes critiques qui ont déjà été publiées ici (ou ailleurs) concernant ce film. Mais impossible également de me taire après l'avoir revu, tant ce film est marquant.
D'abord, Alien est un magnifique film de Science-fiction. ça paraît être basique, mais je crois qu'il faut le rappeler. J'aime la façon qu'a Scott de nous plonger dans un monde et une époque sans nous en expliquer le contexte. Quand sommes-nous ? Où en est l'humanité ? Cependant, de nombreux détails nous donnent, sans être trop appuyés, des informations sur l'époque.
La conquête spatiale a déjà bien progressé, puisqu'on peut envoyer d'énormes vaisseaux voyager plusieurs mois dans l'espace à la recherche de minerais. La pratique a l'air courante, puisqu'il y a des lois et des contrats qui encadrent le voyage. Cependant, le départ et le retour se font sur la Terre, ce qui laisse supposer que les humains n'ont pas colonisé d'autres lieux habitables.
Autre thème très courant en science-fiction : la présence de machines, que ce soient des androïdes ou une I.A. qui dirige le vaisseau. Sauf qu'ici, apparemment, les lois de la robotique ne s'appliquent pas...
Mais le film ne se contente pas d'être de la science-fiction. à cela, il ajoute un extraordinaire suspense, sorte de chasse à l'homme inversée (où la proie humaine viendrait gentiment se jeter entre les crocs de son prédateur). D'emblée, nous avons le sentiment d'un danger permanent. Dès les premiers plans, sur les couloirs vides du Nostromo, on sent presque une présence, un danger diffus, invisible, impossible à capter. L'essentiel du film est déjà là, en quelques secondes d'images bien travaillées. Cette technique sera exploitées pendant tout le film : l'invisibilité du monstre, sa capacité à se fondre dans le décor. Scott jouera d'ailleurs avec nos nerfs : la créature est là, sous nos yeux, et on ne la voit pas. Ou, à l'inverse, on croit la voir, la deviner dans le décor, mais ce n'est qu'une illusion. Alien, le film qui rend parano.
Ce sentiment de danger vient aussi de tout un jeu sur les regards. Alien, c'est un film où on observe et où on est observé. Quand les écrans s'allument, au début du film, Scott nous montre surtout leur reflet sur des casque, comme si quelqu'un était là pour les voir s'allumer. La découverte du vaisseau est aussi un grand moment, puisqu'il est surtout vu à travers une caméra embarquée défectueuse : on voit un peu, on devine, puis plus grand chose. Alien, c'est un film sur l'illusion d'optique, mais aussi sur la maîtrise du regard. Celui qui voit en premier a une chance de gagner. Les humains qui se font tuer ont commis l'erreur d'être vus avant de voir.
Le travail technique est exceptionnel. Scott maintient un équilibre permanent entre science-fiction et angoisse. Le film joue à merveille sur les deux tableaux. D'un côté les grands espaces, le Nostromo, les planètes et leurs lunes, de l'autre côté la claustrophobie savamment orchestrée d'un décor qui ne semble pas faits pour des humains. D'ailleurs, rien, ici, n'est fait pour des humains.
Alien, c'est le combat de l'humain. Combat contre un monstre qui est une parfaite machine à tuer. D'abord, la créature est littéralement indestructible. C'est ce que j'apprécie dans ce film, et que je reproche au second opus où on tue de l'Alien par paquets de douze : le monstre n'est pas tué. D'ailleurs, à la fin, rien n'indique qu'il soit mort.
Je l'ai déjà dit, mais sa capacité à se fondre dans le décor est aussi une arme remarquable. Combien de fois passe-t-on juste à ses côtés sans le voir ? La présence d'un chat montre bien, ici, les trop faibles capacités humaines : même s'il ne le voit pas, le chat peut sentir sa présence. Pas l'homme. L'humain n'est pas assez instinctif. Il a perdu sa sauvagerie, sa bestialité. En se civilisant, l'être humain est devenu faible.
Tout cela montre d'ailleurs une grande capacité d'adaptation. Le monstre semble est capable de survivre dans différents milieux et de naître à partir de différents organismes.
Une chose m'a frappée lors de cette re-re-re-re-re-revision du film : la lenteur que met la créature à tuer ses victimes. C'est le cas pour Brett, par exemple. Il semble bien le regarder pendant que ses mâchoires s'ouvrent avec une lenteur infinie. Du coup, je me demande s'il n'y a pas, dans cette créature, une part de sadisme, de cruauté. Une volonté de lire la peur dans ses adversaires. Aimer faire souffrir. Peut-être une haine contre l'être humain (et lui seul, puisque le monstre épargne le chat).
Mais, et c'est ça qui est frappant, les humains n'ont pas à combattre uniquement contre un monstre tueur sadique indestructible au sang d'acide. Ils doivent également affronter des machines. La lutte se fait également contre les robots. A ce titre, le personnage d'Ash est tout aussi inquiétant que la créature. Sa façon d'admirer le monstre, de le respecter, de tout faire pour qu'il entre dans le vaisseau et s'y développer, est assez terrifiante.
Quant à l'IA, Maman, je la soupçonne de ne pas être franche du collier non plus. C'est elle qui déroute le vaisseau vers le signal de détresse. C'est elle qui fait tout pour protéger la mission de Ash. D'ailleurs, j'en viens à me demander si la véritable mission n'était pas d'aller chercher la créature. Le flou savamment entretenu par Scott à ce sujet est remarquable : Ash connaissait-il l'existence de cette créature avant de la rencontrer ?
En tout cas, le film devient une extraordinaire fable sur l'être humain et sur la peur. Le nom donné à la créature, Alien, l'étranger, est très significative : l'étranger, c'est ce qu'on ne connaît pas, et généralement ce qui fait peur. Peur de l'inconnu, peur de ce que l'on ne voit pas, peur de ce que l'on ne comprend pas, peur de ce que l'on ne peut pas atteindre. La créature réunit en elle toutes les peurs humaines.
Et Alien devient aussi une question sur l'humain, confronté ici à ses limites. Une fable désenchantée, sur le thème : l'être humain est très faible, en danger permanent. Si facile à attraper, si facile à éliminer.
Bien entendu, un autre thème fait son apparition ici, le thème qui va unir les quatre films de la série (au point d'en devenir presque caricatural, au bout d'un moment) : la maternité. Depuis le nom de l'IA (Mother) jusqu'à la scène d'accouchement, tout y est...
Les scènes cultes se multiplient dans ce film. Mon texte est déjà trop long pour pouvoir les recenser. Les trucages sont magnifiques : les planètes, le vaisseau extraterrestre échoué, l'explosion du Nostromo...
Le rythme est maintenu de façon très intelligente, un rythme lent, parfaitement dosé. Alien ne cherche pas seulement à impressionner, il échappe à la tentation du "toujours plus". C'est cette lenteur qui permet d'installer, tranquillement, l'angoisse du spectateur.
Et puis, il y a l'intérieur du vaisseau, ce labyrinthe de couloirs tous identiques, de lieux sombres, de ponts et de salles. Un jeu très savant sur les ombres et les lumières achève d'angoisser le pauvre spectateur (la scène stroboscopique où Ripley se trouve à côté du monstre est splendide).
Scott ne cache pas l'influence de 2001, tant certains plans de l'intérieur du vaisseau semblent directement pompés sur le film de Kubrick. Mais qu'importe, puisque c'est utilisé de façon aussi superbe !
Si je devais trouver un défaut, je parlerais de l'emploi de la musique, parfois trop grandiloquente, très dramatique, cassant ainsi l'ambiance subtile entretenue par le cinéaste. Une petite faute qui sera réparée pour Blade Runner.
[9,5/10]