(Attention Spoiler)
Lester, dès le début du film, annonce la couleur : sa mort est inéluctable, mais peut-on mourir quand votre vie est déjà un enfer ? Archétype du quadragénaire frustré subissant sa petite vie monotone, coincé entre une femme frigide et une fille qu’il ne comprend plus. Comme voisins : un couple homosexuel tout ce qu’il y a de plus cliché à sa droite et un père autoritaire accompagné de son fils un brin bizarre à sa gauche. Il déteste son boulot et pour couronner le tout apprend qu’il risque d’être viré du jour au lendemain.
Lester est un homme que l’on va admirer dès le départ. Cette façon de se réveiller d’un coup, de sortir du cauchemar de sa petite vie bourgeoise. Sa manière d’envoyer tout balader, d’écouter ses désirs et de critiquer à tout va ce monde qui l’entoure qu’il n’arrivait plus à supporter. Balayant l’ordre et la morale à grand coup de Cannabis, musculation et masturbation, (re)commencer à vivre pleinement sa vie sera son mot d’ordre. Un objectif, conquérir cette belle jeunette blonde qu’il ne peut écarter de ses pensées. Kevin Spacey est sublime dans son rôle de névrosé qui s’éveille de sa vie comme d’un mauvais rêve. On a envie de fumer avec lui et de cracher sur cette existence de merde à laquelle il a fait ses adieux – au sens propre comme au sens figuré.
Autour de lui, le monde s’effrite lentement à mesure que le film avance. Tous les stéréotypes sont explosés, déchirés et balayés aux quatre vents : Carolyn la mère impeccable – brushing, maquillage, manucuré ? Disparue sous une mauvaise gestion du stress à son travail et une liaison adultérine. Frank le voisin, ancien marine féru d’autorité ? Disparu sous une homosexualité refoulée qu’il combat de toutes ses forces avant d’y céder en pleurs. Angela la jeunette élue de Lester –la meilleure "amie" de sa fille soit-dit en passant – qui sous son apparence d’idole du lycée épanouie cache en réalité une vie sentimentale désertique...
Seuls le fils un brin bizarre de Franck, Ricky, et Jane – la fille mal dans sa peau de Lester – semblent comme deux poissons dans l’eau dans cet océan d’hypocrisie. Ricky cache un passé assez dur – école militaire suivi de deux ans dans un hôpital parce que son père l’a surpris en train de fumer – et endure à longueur de journée l’autorité écrasante de Franck. Il semble avoir trouvé le "beau" en la personne de Jane. Celle-ci n’est pas habitué à être l’objet d’attention d'un regard et va se sentir contre toute attente attirée par lui. Cette jeune fille, dont on suspecte le côté franchement dérangé au début du film, va cependant se révéler être la plus saine d’esprit de l’histoire. Même Ricky, avec son regard de psychopathe, se montrera quasiment inoffensif. Un observateur indifférent de la vie qui l’entoure. Ces deux là se sont trouvés et on se surprend à espérer que leur fuite à New York sera un nouveau départ plein de promesses.
Sam Mendes m’a littéralement scotché sur mon canapé pendant deux heures. Comment représenter avec autant de finesse les tares de la famille américaine moyenne contemporaine. Un si bel agencement de vies privées qui se télescopent subtilement les unes les autres. Le chemin gris et terne de Lester, subitement radieux et sans virages jusqu’à sa mort trop brutale alors même qu’elle est annoncée au début du film. L’arrivé de l’amour dans la vie froide de Carolyn, une période de plaisir inattendue très vite balayée par la réalité qui la rattrape. Un final hallucinant, enchainant révélation sur révélation, qui nous explose en plein dans la figure comme la tête de Lester après un tir de pistolet bien placé.
Film avec autant d’interprétations différentes que de pétales de rose dans le lit imaginaire d’Angela, je laisse cependant le soin à d’autres personnes plus qualifiées que moi de les exposer.
A voir et à revoir, pour ne pas se réveiller à quarante ans avec une sensation de déjà-vu.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.