Pour son 34ème film en tant que réalisateur, Clint Eastwood adapte l'autobiographie de Chris Kyle : "American Sniper", celle du tireur d'élite des Navy Seals, le plus prolifique de toute l'histoire militaire de son pays, revendiquant 255 personnes abattues durant la guerre en Irak, mais 160 selon le Pentagone. Un héros pour certains, un assassin pour d'autres, voir un lâche selon Michael Moore.
On retrouve Chris Kyle (Bradley Cooper) en Irak, en position de tir avec une femme et un enfant dans le viseur, avançant avec une grenade dans les bras, en direction d'une compagnie militaire américaine. Il doit prendre une décision : tirer ou pas ? Tuer une femme et un enfant, ou sacrifier ses camarades ?
La question va rester en suspens, Clint Eastwood faisant le choix de revenir aux origines de Chris Kyle, son enfance ou il chasse avec son père, protège son petit frère, devient un cow-boy de rodéo, avant de s'engager dans l'armée américaine.
Pour comprendre l'homme qu'il est devenu et pourquoi il se retrouve en Irak, une phrase suffit à résumer cela : Ni un loup, ni un mouton, mais un chien de berger, qui protège les siens. Elle est de son père, un homme de foi, mais aussi un chasseur, qui va lui inculquer ses valeurs. Il devient un cow-boy de rodéo, avec une vie sentimentale désastreuse, avant qu'il voit les attentats contre les ambassades de Nairobi et Dar Es-Salam. Ce sera l'élément déclencheur, il vient de trouver sa vocation et s'engage chez les Navy Seals pour défendre sa patrie. Il va aussi trouver sa femme, tout lui sourit, jusqu'à ce qu'il parte pour sa première mission en Irak.
C'est à ce moment, que l'on revient à la question restait en suspens : va-t'il tirer ou pas ? La réponse est oui. Survient alors une autre : a-t'il bien fait ? la réponse est malheureusement oui, mais en appuyant sur la gâchette, il vient de perdre son humanité, l'homme aimant et drôle, vient de mourir en même temps, que cette femme et cet enfant.
Chris Kyle est dépeint comme un héros. On tente de nous montrer sa douleur, mais le film peine à traiter pleinement le sujet. Ses retours au pays sont brefs, on le retrouve rapidement en Irak ou il semble dans son élément. Il donne l'impression d'un enfant retrouvant son jouet; son fusil en l'occurrence; se baladant dans un immense parc d'attractions, ou il peut donner libre cours, à son talent, celui d'éliminer l'ennemi pour protéger les siens. C'est comme une drogue, il semble en manque dès qu'il retrouve sa famille, se fermant et s'isolant, avant de retrouver une certaine forme de joie de vivre, en revenant parmi "les siens". Il fait passer la patrie, avant la famille, au plus grand désespoir de sa femme impuissante et seule, élevant leurs deux enfants, en attendant le retour de l'homme.
Le récit est simpliste et n'évite pas les clichés, on a le fameux "je vais me marier, j'ai la bague, tu veux être mon témoin?" avant qu'une balle mette fin à la conversation. Puis, Chris Kyle redevenant un époux aimant, comme avant et un père de famille souriant et formidable, avant le drame. Avant de se conclure, sur son enterrement, avec la foule brandissant le drapeau américain et pleurant sa mort. Si jamais, il y avait un doute, Clint Eastwood glorifie un homme, en effaçant les zones d'ombres, tout comme le contexte de cette guerre en Irak, reposant sur un mensonge. Il a fait le choix, de ne pas en faire. Il raconte la vie de Chris Kyle, d'un redneck, un texan, un patriote et un militaire surnommé "The Legend" par ses pairs et "Le diable de Ramadi" par ses ennemis. Il ne remet jamais à cause ses actes, ou furtivement, dans une scène ou il se retrouve accusé d'avoir abattu un homme avec le coran à la main, et non arme. Il rétorque, qu'il ne sait pas à quoi ressemble le coran et tourne les talons.
Chris Kyle est un héros, auquel les américains peuvent s'identifier, un homme bien de chez eux, un vrai patriote, qui renvoie au placard ceux de Marvel. C'est un cow-boy, digne descendant de ceux qui ont assassiné les indiens pour prendre leurs terres. Il assouvit sa soif de violence et de sang, dans un autre pays, avec en fil rouge, son duel à distance avec un autre sniper, le Syrien Mustafa, un ex-champion olympique. Sauf qu'il n'a jamais existé, Clint Eastwood arrangeant l'histoire, pour s'en servir comme ressort dramatique. Ce n'est pas la seule "facilité", Chris Kyle n'ayant jamais tiré sur un enfant, entre autres.
Puis, les Irakiens sont dépeints comme des sauvages. Ils sont les méchants et les américains sont les gentils. Il schématise et en dehors d'une famille irakienne "gentille", il ne montre que des illuminés, dont le personnage du boucher, un psychopathe, semant la terreur parmi les siens. L'émotion n'apparaissant que dans le viseur de Chris Kyle, avec un enfant en ligne de mire. Le film étant comme son personnage, froid et clinique.
La réalisation est son premier atout, à 86 ans, Clint Eastwood continue à maîtriser sa caméra, à défaut de le faire avec son sujet, même si le duel final entre les deux snipers est bâclé. Son second, l'interprétation de Bradley Cooper qui est impressionnant, aussi bien physiquement, que dans son jeu. Il parvient en un regard, ou une posture, à transmettre le mal-être de son personnage, perdu dans un bar ou face à sa télé éteinte.
Mais comme avec "Hoover" en 2011, Clint Eastwood ne raconte qu'une part de la vérité, qu'une face d'un homme, ne regrettant aucun de actes, pour en faire un héros, en offrant un point de vue réducteur.
American Sniper est un film rythmé, ou les scènes d'actions sont réussis, au contraire de celle plus intimistes. Bradley Cooper dominant un casting, lui servant de faire valoir. Clint Eastwood fait l'éloge d'un héros de guerre, se contentant de raconter son histoire, sans se poser de questions, tout en modifiant les faits. La machine à rêve hollywoodienne, à fabriquer un nouvel héros, lui permettant de justifier l'injustifiable, un écran de fumée, pour masquer une vérité qui dérange, afin de perpétuer son mythe du dernier rempart contre le mal.