ANNA est de ces films qui nous rappellent l'importance du scénario (et oui), de sa capacité à occuper pleinement un film, et surtout de la réalisation, de "pourquoi on montre une chose comme on la montre, et pourquoi pas autrement".
Commençons par les bons points, qui j'espère vous donneront la curiosité d'aller regarder ANNA : film à voir d'abord pour sa photographie : dirigée par Willy Kurant (Godard, Varda, Kubrick, Gainsbourg …), on ressent un réel soin apporté à la composition des plans, aux cadrages, on perçoit nettement une esthétique, un parti pris dans l'image du film, qui sublime les acteurs principaux, Anna Karina et Jean-Claude Brialy et les rues de Paris, décor traité un peu comme un personnage, c'est en tout cas ce que j'ai ressenti : le cadreur nous fait ressentir son expérience de cinéma d'actualité, les travellings dans la capitale font penser à du documentaire, chose étonnante pour une comédie musicale.
Seconde raison de voir Anna, et plutôt de l'écouter : la bande-originale. Composée par Serge Gainsbourg, qui donne également la réplique à Serge (Brialy) dans le film, elle est particulièrement réussie, et je conseille vraiment l'écoute de la dernière version CD, remasterisée, qui permet de profiter des musiques entières, parfois tronquées dans le "final cut".
Dernière raison de regarder ANNA, les acteurs, qui sont vraiment intéressants, et apportent au film une plus-value : Karina, dont l'espièglerie est un parfait contrepoint aux monologues introspectifs, Brialy dans son rôle d'homme presque fou, perdu dans un amour illusoire, désabusé, traité comme un enfant par ses tantes "étranges". Ils arrivent à nous faire oublier le côté assez kitch du film, qui en même temps fait le charme d'ANNA, il faut l'avouer. Un couple que l'on retrouve quelques années plus tôt dans "Une femme est une femme" de Jean-Luc Godard (1961) : un musical plus réussi car plus audacieux ... Godard arrive à nous faire vivre une intrigue à la fois absurde et révélatrice des comportements humains, comme des marivaudages (même si la musique de Legrand n'est pas l'axe de film, contrairement à celle de Gainsbourg, c'est peut être le défaut qu'on peut lui trouver). Enfin, ce couple marche très bien à l'écran, et c'était une bonne idée de les choisir ! Ajoutez à cela qu'Anna Karina était une proche de Gainsbourg, ce qui explique la réussite de la B.O., et on avait un film réussi, sur le papier ...
La grande faiblesse d'ANNA, c'est son scénario et sa réalisation : un postulat de départ intéressant, un homme tombe amoureux d'un visage féminin sur une photographie, et s'évertue à retrouver la fameuse femme, par tous les moyens possibles, sans se rendre compte qu'elle est sous ses yeux. L'idée me séduit, seulement elle n'est pas suffisamment développée, mise en scène : je n'ai pas perçu de véritable audace, rien ne m'a fait dire "Wow, c'est osé" : un musical qui se réclame pop, acidulé, mais avec une réalisation ultra classique : ça fonctionne pour certaines séquences ("Boomerang" et Brialy dans la rue), mais le reste du temps, on s'ennuie. Le vrai problème étant que l'intrigue tourne en rond assez rapidement, et aurait pu être plus riche, plus étonnante : on ne fait finalement que suivre les déambulations urbaines et dépressives de Serge, et les pensées pessimistes mais teintées d'innocence d'Anna, avec deux trois passages plus nerveux, "psyché" ... Il ne faut pas oublier qu'ANNA est un musical produit avec un budget dérisoire, ce qui explique peut-être la "sobriété" de la réalisation ... Mais quand même, c'est dommage d'avoir un si bon matériel de départ, et de ne rien transcender : heuresement, le casting est là, et la musique aussi.
En conclusion, je conseille ANNA pour l'image, hyper réussie, la musique, hyper réussie -normal, Gainsbourg- et les acteurs, justes dans leur interprétation, et j'espère voir un jour une belle version remasterisée, image et son, pour mieux profiter du film ! (Peut-être est-ce un voeu pieux, mais j'ai envie d'y croire quand même !)