Dans la veine de l'excellent Tel père, tel fils prix du Jury à Cannes en 2013, Kore-eda nous ressert une variation sur le thème de la filiation sous l'angle du déterminisme social. Mais, si dans le premier la structure en chiasme reliant les deux familles aisée et populaire démontrait une construction réfléchie et ingénieuse du récit, celui-ci se révèle dans Après la Tempête plus convenu et moins complexe.
Le titre évoque subtilement non seulement le fait météorologique agitant le quotidien des personnages mais aussi les tourments intérieurs que ceux-ci éprouvent (les nombreuses scènes d'intérieur allant dans ce sens), en particulier Shinoda (Hiroshi Abe). Incorrigible loser, accro au jeu, endetté, rustre, maladroit, irresponsable et incapable de se gouverner et qui en dépit des remarques de son entourage ne parvient à corriger ses défauts dont il a hérité de son père – mort depuis peu –, il incarne malgré lui la théorie pessimiste chère au réalisateur (dont Durkheim est le père) et selon laquelle la société et ses interactions prévalent sur les comportement individuels de l'homme. Ainsi, si le défunt père de Shinoda ne savait gouverner son argent et jouait tout ce qu'il possédait, son fils fera de même. Kore-eda pousse sa vision des choses jusqu'à l'extrême puisque Shinoda transmet également à son fils les valeurs qu'il avait acquises de son propre père, perpétuant de cette manière la lignée du «mal».
Néanmoins, le cinéaste démontre une certaine empathie envers son personnage et lui concède la vertu de savoir écrire – celui-ci ayant déjà publié un ouvrage, avec un certain succès - , vertu dont son père était fier et qu'il voudrait aussi transmettre à son fils. Par ailleurs, le matérialisme et le calcul de son entourage atténuent les défauts de Shinoda, plus humain dans sa relation à son fils et moins attaché à l'argent qu'à la jouissance du présent.
Si le film peine à démarrer, il prend progressivement forme et sa fin démontre la maîtrise narrative de Kore-eda, qui saura guider le spectateur vers des chemins qu'il n'aurait soupçonné, rattrapant par conséquent un scénario a priori plutôt plat et somme toute assez peu original - tel est l'autre face du succès passé: la barre reste toujours haut placé, et la déception du public est plus certaine qu'une nouvelle admiration. Soulignons aussi quelques scènes géniales prouvant que le talent de Kore-eda est toujours là: celle d'abord où l'on assiste à la "renaissance" de la famille (père, mère et fils) que la mise en scène réunit à nouveau dans ce ventre de la terre que représente le toboggan et ses couloirs, puis celle où Shinoda remue les cendres des encens comme symbole de son père décédé constituent des moments forts du film.
Pour conclure, on se rend bien compte qu'à travers la répétition d'un thème auquel il ne peut échapper et que l'on retrouve chez des réalisateurs qui lui sont antérieurs - ses pères spirituels - tels que Ozu, Kore-eda montre qu'il est lui aussi l'objet de ce même déterminisme duquel ses propres personnages souffrent. En effet, bien qu'il ait essayé de s'en extraire dans la première partie de son film en s'appuyant sur l'intrigue liée au métier alimentaire de détective du protagoniste, il a été malgré lui ramené aux schémas développés dans l'enfance cinématographique où il avait baigné. Dommage que, semble-t-il, il en ait eu honte.