Un petit vacillement opère à la découverte de ce nouvel opus des Coen bros, dont la filmographie bien garnie nous fait vibrer depuis plusieurs décennies déjà : et si le syndrome Woody Allen guettait ? Si cette installation dans le champ des sorties, certes moins régulières, finissait par se laisser gangrener par la paresse et l’auto-citation ?
On savait depuis la bande annonce sur quel pan de leur œuvre les frangins allaient faire vibrer l’une de leurs nombreuses cordes : comédie, bouffonnade, et satire, dans la lignée d’un Lebowski ou Burn after reading, le tout dans un contexte déjà visité dans l’un de leur sommet, Barton Fink.
On a beau savoir que la légèreté a droit de cité dans leur cinéma, et qu’elle est souvent le levier vers des questions plus graves qui avancent joyeusement masquées, ce nouvel opus souffre de nombreuses maladresses pour qu’on lui accorde trop grand crédit.
Certes, les questions traditionnelles à leurs obsessions affleurent ici et là : un débat théologique dont ils ont le secret (rappelant l’écriture incise d’A Serious Man), une coexistence de forces opposées (le capitalisme clinquant contre l’idéologie militante des communistes, la joie en technicolor contre l’éblouissante bombe atomique), une direction d’acteur permettant contre-emplois (jolie performance d’Alden Ehrenreich) et scènes écrites au cordeau (la répétition entre ce dernier et Ralph Fiennes), et enfin quelques petites saillies absurdes, comme une réunion marxiste ou la rencontre avec un sous-marin soviétique.
Tout cela estampille sans conteste le label Coen, auquel s’ajoute une caution autrement plus ambitieuse, celle de marcher dans les pas des ainés en recréant les morceaux de bravoure de l’âge d’or hollywoodien. Savant exercice d’équilibre que de laisser aller son enthousiasme dans le pastiche tout en maintenant la distance propre à la tonalité générale du film, et qui ne fonctionne pas toujours. Il est un peu grossier de procéder toujours de la même manière, à savoir une immersion dans le genre avant de le briser par une chute brisant l’illusion (avec Scarlett et sa couronne, Clooney et sa réplique, etc.), facilité qui s’applique finalement au film entier. D’autant que certaines citations sont de bonne facture : le western acrobatique et surtout la comédie musicale avec Tatum fonctionnent admirablement, tout comme l’ampleur pompière du péplum. On ne peut en dire autant du ballet aquatique de synthèse et du parallèle entre la grâce de la vedette à l’écran opposée à sa rustrerie à la ville, antienne déjà éculée depuis Chantons sous la pluie ou Roger Rabbit.
L’hommage est joliment chromé, et l’on parvient à distinguer clairement deux pistes, celles de l’émerveillement des héritiers post-modernes, et leur insolence polie à vouloir gratter le vernis de cette époque qui avait tout de la chape de plomb. D’autres, comme Ellroy, l’ont fait bien mieux avant eux, et surtout, on en vient à se demander s’il ne conviendrait pas d’aller directement revoir les modèles pour retrouver intact le plaisir qu’ils tentent de réactiver.
Parce que tout l’emballage est paresseux, la structure branlante, échafaudage malhabile qui ne cherche même pas à faire cohabiter au nom d’une cohérence générale cette succession de sketches et de guests. Il est tout de même assez désolant de constater qu’on puisse nous faire du remplissage sur un film d’1h46, comblant les vides entre les morceaux de bravoure, notamment par le personnage de Mannix, dont la vie familiale ou les possibilités de reconversion sont tout sauf utiles à la trame générale.
La comédie est un art délicat, et s’il est des artistes qui peuvent donner des leçons sur sa subtile alchimie, les frères Coen en sont de fiers porte-parole : le recours qu’ils ont ici au cabotinage assez pénible de Clooney est un autre signe de fatigue et d’autocitation qu’il faudra songer à renouveler au plus vite.
Mais l’espoir subsiste : contrairement à l’annuel Allen, les frangins ont un mérite qui permet qu’on vibre à chaque annonce de leur nouveau projet : celui de jouer sur un spectre si large que tout soit possible pour la suite : ils peuvent se le permettre.