On a toujours pas pris le pli depuis trente ans. Pourtant les frangins nous refont le coup tous les quatre ans selon un schéma pré-établi. Un polar dramatique chasse une comédie loufoque et désuète. Une balance des tons qui les rendent forcémént et difficilement cernables pour les cinéphiles avides de leurs travaux. Si l'on effectue un flashback sur leur carrière, il faut remonter à une quinzaine d'années afin de retrouver le même type de configuration parfaite. "O'brother/The barber" se substituent aisément à la paire "Inside Llewyn Davies/Hail César. Des métrages durs, violents, parfois dépressifs, fonctionnant la plupart du temps en miroir déformant avec leurs frères ennemis plus légers et dénués d'apreté.
"Avé César" tout comme "O'brother" et "Intolérable cruauté" en leur temps n'obtiendra pas "le visa two thumbs up" de la part du spectateur. La qualité intrinsèque n'étant pas remise en cause (quoique) mais surtout parce que ces films se permettent une pause clope-détente. Difficile donc d'accepter d'embrasser pleinement "Avé César" sachant qu'il succède le mélancolique "Llewyn Davies", le successfull "True Grit" et l'auteurisant "Serious man". De mémoire, jamais les duettistes n'ont été aussi talentueux que depuis ces six dernières années. A tel point que les souvenirs de "The Ladykillers" et "Burn after reading" "se floutent" laissant le souvenir d'une forme au dessus de tout soupçon et d'un coup de crayon tout juste limite. La place réservée au dernier opus des Coen semble donc bâtarde mais ne fait que réitérer la boucle artistique des années passées.
"Avé César " est un rêve sur celluloïd, LE RÊVE des Coen. Celui qui cache en son sein la perle artistique. Oui ce film à du cœur et il s'articule autour de l'amour de la fratrie pour tout un pan du Cinéma des fifties. Celui des studios tout puissant et des genres codés. Celui du Technicolor auquel le talentueux Roger Deakins rend hommage à travers une photo velouté et n'hésitant pas à jouer sur le ratio du cadre en passant du 1.85 standard au 1.33 par une astuce aussi simple que marquante. La qualité visuelle ne fait que servir sur un plateau la satire hollywoodienne croquée par deux types passionnés. La chasse aux sorcières, bien sûr, dissimulée ici en cellule communiste composée d'une faune d'intellectuels mais aussi l'intrusion de journalistes "fouille merde" et de comédiens crétins aux visages ahuris.
C'est un monde de playmobils qui est offert ici. Une micro-société en carton dessinée à gros traits et dégageant une surdose de tendresse pour des personnages dont les Coen planqués derrière le décor tirent les ficelles. Un terreau dont les amateurs connaissent par cœur les ressorts scénaristes, les figures imposées et l'écrin somptueux "flatteur de rétine". Néanmoins, un élément majeur va retenir l'attention et propulser le dernier né vers les sommets du film noir et de la comédie :
La valeur ajoutée est le personnage de "Mannix" (Josh Brolin) gros bras défenseur des intérêts des studios Capitol et fil conducteur d'une intrigue éclatée. Tout droit issu d'un roman de Raymond Chandler ou de Mickey Spillane, Mannix arbore les poses iconiques des privés. Clairement filmé comme un solitaire en imperméable, l'homme a du cuir, un sens de l'organisation imparable ainsi qu' un timing à toute épreuve. Les codes du film noir, poésie dont les Coen connaissent chaque alexandrin par coeur caressent l'idée d'offrir aux spectateurs une partition semblable aux illustres ainés de papier. Volonté assumée d'un second degré digéré depuis trois décennies, les Coen frappent inconsciemment à la porte de James Ellroy. L'âme du romancier ne cesse de planer au-dessus de "Cesar"non pour son ton dark mais pour ce doigt pointé sur le système pourri que le bulldog (surnom de Ellroy) a toujours eu envie de déglingué. Des problèmes de stars capricieuses au destin funeste du "Dahlia noir"à l'adoption d'un enfant par DeeAnna Moran dans "Avé Cesar", il n'y a qu'un pas... Des sosies de Lana Turner de L.A Confidential aux méthodes musclées de Mannix, les oeuvres se percutent renvoyant leurs images respectives d'un monde de paillettes, d'artificialité et de bonheur précaire. Si le crime de sang n'est pas la thématique des Coen comme ce fut le cas dans la tétralogie L.A de Ellroy, les crimes politiques de "Avé César" et sa douce ironie sont toujours là pour nous rappeler que les grands de ce monde s'imposent toujours dans la brutalité.
"Avé Cesar" n'est donc pas le métrage "volatile et rigolo" promis mais une tranche de ciné se baladant avec un nuage pluvieux au dessus de la tête. Des idées noires mais aussi une ambiguité joliment enrobée de sucre afin de vous faire définitivement comprendre que derrière l'apparent spectacle se cache une sempiternelle lutte d'abrutis pour le pouvoir et l'argent. Voilà un air (bien) connu mais agréablement raconté !