Le temps d'une projection, Ave César ! renoue avec l'atmosphère si particulière du cinéma des années cinquante et de celle des plateaux de tournage des grands studios. Beauté des décors et de leur reconstitution, superbe photographie, tout concourt à ce que l'aspect plastique soit magnifique, réussissant à faire passer à travers l'écran l'idée de luxe ou de grandiloquance des films de l'époque. Les coulisses de tournage de certaines scènes typiques permettent aux frères Coen de croquer, entre tendresse et regard amusé, une galerie de portraits et de caméos rappelant les comportement et les égos de certaines véritables personnalités.
Les Coen livrent un véritable spectacle, comme dans ce numéro de danse endiablé et bourré de sous-entendus mené par un Channing Tatum charmeur et sautillant. Scarlett Johansson, elle, prend la tête d'une séquence de ballet aquatique alerte et enlevée, cachant sous son sourire toujours aussi beau toute la désinvolture et l'égoïsme de son rôle. Certaines figures majeures du cinéma, chez eux, prennent une bonne décharge de plomb dans l'aile, comme l'acteur de western et sa démarche si particulière, ou encore le metteur en scène précieux et trop conscient du "génie" qu'on lui attribue.
Le plus fort, c'est que l'intrigue, dans ses séquences de vie quotidiennes d'Eddie Mannix, véritable pompier et gardien du Temple de la magie d'Hollywood et de son image, prend elle-même des allures de film noir, de suspense ou d'espionnage, toujours sur un mode léger et décalé cher aux réalisateurs.
Ave César ! ressemble ainsi à un film puzzle par sa multitude de personnages tour à tour chaleureux, détestables, benêts ou falots, à l'image d'un Nespresso qui n'est jamais aussi bon que quand il se bêtifie tout en se prenant au sérieux, comme dans l'antique O'Brother. Mais aussi et surtout, le film brasse quantité de thématiques très intéressantes et ludiques, toutes en rapport avec l'appréhension du média hollywoodien et de sa résonnance médiatique et artistique.
Mais à l'issue de l'oeuvre, on ne peut s'empêcher de ressentir comme une frustration. Le film est très agréable, sans aucun doute possible. Léger comme une bulle de savon et sympathique à suivre. Aucune pointe d'ennui à l'horizon, au contraire. Cependant, Ave César !, s'il est un film riche, semble ne jamais aller jusqu'au bout des choses, principalement dans l'appréhension de certains de ses aspects politiques ou religieux. Le film fait de même avec ses personnages. A part celui de George What Else, beaucoup des autres rôles recelaient, à mon sens, un potentiel comique que les frères Coen semblent d'eux-même renoncer à exploiter. Car il s'agit à l'évidence d'un choix d'écriture conscient et réfléchi. Si cette position permet d'accoucher d'un film sympathique dont on voit arriver la fin avec étonnement, il reste pourtant un peu à la surface des choses et délaisse certains rôles précieux qui, finalement, ne font que passer le temps d'une ou deux scènes revigorantes au cours desquelles on esquisse un franc sourire.
Ave César ! est loin d'être anecdotique, comme j'ai pu le lire. Mais sa dérision domptée, son potentiel comique pas toujours exploité font qu'à son souvenir, délicieux d'un bon moment partagé, on se dit que c'était bien mais qu'il manquait quelque chose pour en faire un grand film.
Behind_the_Mask, qui ne rentrera pas dans sa queue de sirène.