Quatrième film des frères Coen, Barton Fink les fait découvrir au grand-public grâce à la Palme d’Or cannoise. Un an après Miller’s Crossing, le cinéaste à deux têtes définit son style, entre naturel et exagération, avec ces univers au glauque cotonneux, à la noirceur sereine (Fargo, A Serious Man comme meilleurs exemples), avec cette espèce de chape de plomb traversant le vide (No country). Barton Fink est le premier film des Coen avec leur directeur photo habituel depuis, Roger Deakins (l’initial était Barry Sonnenfeld) et son aspect est aussi jubilatoire qu’intimidant. Ces grands espaces vides, ce côté ‘monochrome’, cet hôtel très étrange, relèvent d’un nouvel expressionnisme, dont John Turturro coiffé comme le type d’Eraserhead est le responsable et le prisonnier.
Pour leur personnage éponyme, les Coen s’inspirent de la vie de l’auteur et metteur en scène Clifford Odets, victime du maccarthysme. Barton Fink raconte l’arrivée d’un auteur à Hollywood, au moment où il perd son inspiration. Il veut son chef-d’oeuvre : pas un simple succès d’estime comme actuellement, mais un grand film populaire et génial. Largement reconnu par les professionnels de la profession à ce moment-là, il est mis sous pression pour concocter une soupe bien tournée. Le film va présenter sa double castration : celle venant du système et celle émanant de sa propre volonté d’objectivité. Barton Fink est asservi mais aussi mis en échec par ses propres ambitions d’artiste engagé, car il n’est pas un homme en contact avec le réel.
La bêtise l’engloutit, le productivisme aveugle l’accable et ses prétentions le détournent pour de bon de sa source créatrice. Barton Fink est incapable de se réaliser tout comme de percevoir avec précision la réalité. Il faut que celle-ci s’insurge brutalement pour se découvrir ; et encore, car même face à l’assassin accompli, Barton garde une perception corrompue et flouée : les évidences, la surface présentée et les représentations supplantent toute lecture lucide. L’écriture est maline et la forme impressionnante, puis la séance s’achève sur une amertume discrète : tant de ressources mobilisées, tant de mise en échec. C’est un genre de Shining 2, sur la frustration du créateur en panne et finalement dissocié, lessivé par les impératifs du réel comme le non-sens qui s’y balade et qu’on refuse de laisser être.
Autres films des frères Coen :
http://www.senscritique.com/film/No_Country_for_Old_Men/critique/27016228
https://zogarok.wordpress.com/2015/05/13/barton-fink/