Oubliez les jolies collines de la Toscane, les belles maisons rurales, le cadre enchanteur des grands poètes, dans Berlinguer ti voglio bene, on est à des années lumières de Chambre avec vue ou de Beauté volée (réalisé par l’autre frère). Le film a marqué au moins deux générations de toscans pour ses répliques cultes et pour l’image réaliste et crue d’une réalité, qu’en ces années en Italie on pensait avoir dépassée (on est à quelques années du grand arrivisme milanais à la Berlusconi).
Le langage, outre à être particulièrement vulgaire, est aussi dialectale et cela a toujours représenté une barrière pour la connaissance du film et son appréciation au niveau national. Sa dimension très régionale est due au scénario écrit avec Roberto Benigni, un toscan pur trempe. On y retrouve tout ce qui fera de Benigni le grand comique italien de la scène des années ’80 jusqu’à la moitié des années ’90.
Quand je l’ai vu pour la première fois, presque 25 ans après sa sortie, je suis restée stupéfaite par le sens profond et sale du langage de Benigni. Le plan séquence où l’on voit Mario Cioni (le personnage interprété par Benigni) marchant à travers une triste campagne au crépuscule, qui rentre à la maison ayant appris par ses compagnons la mort de sa mère (et c’était une blague !), est à mon avis une perle de l’expression de la frustration portée à son paroxysme. Le monologue est pratiquement intraduisible (même pour les italiens des autres régions), mais l’intensité du jeu de Begnini est surprenante, presque choquante.
L’humorisme exprimé pourrait être souvent confondu par bête et méchant, ou simplement caricatural, si les deux auteurs n’y avaient pas mis toute la réalité existentielle de la jeunesse, faite dans ce cas de conformisme, misère et cynisme. L’espoir pour Mario Cioni, s’il y en a, est de croire que le changement pourrait être l’intervention quasi divine de Berlinguer, lui permettant de mettre sa vie dans une nouvelle perspective. Chose, qu’en revanche tous s’évertuent à lui répéter, n’arrivera jamais, du moins pour lui. Il n’est qu’un pauvre idiot, qui pourra prendre de la vie que ce que l’on voudra bien lui donner, et qui certainement ne donnera rien à l’humanité. Il est la masse silencieuse qui subit, destinée à rester dans une crasse culturelle et sociale, utile seulement à faire valoir les autres sans scrupule et sans remord.
Le film a souvent été estampillé de tout simplement vulgaire et a gêné les bien-pensants, et rien que pour ça il vaut le détour !
« Noi semo quella razza che non sta troppo bene/ che di giorno salta i fossi e la sera le cene/ lo posso grida' forte, fino a diventa' fioco/ noi semo quella razza che tromba tanto poco/ noi semo quella razza che al cinema si intasa/ pe' vede' donne gnude, e farsi seghe a casa/ eppure la natura ci insegna sia sui monti sia a valle/ che si po' nasce bruchi pe' diventà farfalle/ ecco noi semo quella razza che l'è fra le più strane/ che bruchi semo nati e bruchi si rimane/ quella razza semo noi è inutile fa' finta/ c'ha trombato la miseria e semo rimasti incinta »
« Nous sommes de cette race qui ne va pas très bien/ qui le jour saute les fossés et le soir les dinés / je peux le crier fort jusqu’à en perdre la voix / nous sommes de cette race qui baise si peu / nous sommes de de cette race qui au cinéma se calque / pour voir des femmes nues, et se branler à la maison / et pourtant la nature nous enseigne qu’autant sur les monts que dans la vallée / que l’on peut naitre larve pour devenir papillon / voilà, nous, nous sommes de la race des plus étranges / de ceux qui sont nés larves et qui le restent / cette race c’est nous, inutile de faire semblant / on a été baisé par la misère et on est tombé enceinte »
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