J'attendais pour ma part ce film depuis plus d'un an. Annoncé dès 2019, sa sortie en salle fut repoussée de nombreuses fois, la faute à un contexte sanitaire qui empêchait une prise de risque et une sortie en salle. Repoussé, repoussé et encore repoussé, c'est finalement Netflix qui a récupéré le projet pour le diffuser sur sa plateforme, fin 2020.
Soit, cette logique devient de plus en plus habituelle, et l'on s'y est (malheureusement ?) fait.
Le premier film Bob L'Eponge, sorti en 2004, avait été instantanément un objet culte pour les fans de la série, dont je suis. En élargissant l'univers de Bikini Bottom et en confrontant les personnages à de nouvelles têtes, les créateurs avaient fait un pari risqué, et in fine admirablement tenu.
Le deuxième film, sorti plus de dix ans plus tard prenait là encore un risque, intégrer à l'univers de l'éponge carrée la 3D et le mélange avec des prises de vues réelles (qu'on retrouvait déjà dans la série TV, sous forme de pastiche volontairement ridicules d'émissions américaines, avec un pirate mal déguisé et un perroquet marionnette laid et odieux). Si sa partie finale, précisément cette partie en image de synthèse, "hors de l'eau", avait un peu heurté les fans, elle avait au moins l'intelligence de justifier son parti pris esthétique et d'utiliser ces nouvelles technologies pour parodier les codes du divertissement actuel (super-héros, méchant pirate joué par Antonio Banderas himself, ...). L'humour, résolument absurde avait même pris le risque, encore un, par son côté ultra méta, de laisser sur le carreau les plus jeunes spectateurs pour parler plus directement aux plus âgés.
C'était pour ma part une deuxième réussite, qui ne dénaturait pas la série, s'assumait comme film indépendant, à prendre au millième degré.
Le troisième film, donc, est, pour être le plus direct, raté.
Finie l'animation 2D, le film utilise comme argument commercial une aventure entièrement en 3D. Côté esthétique rien à redire. S'il est toujours dérangeant de voir animés ainsi des personnages que l'on ne connait qu'en dessin, l'image de synthèse produite ici fait la part belle aux couleurs, éclatantes, aux textures, superbes, et parvient à reproduire quasiment à l'identique les expressions, mimiques et effets visuels utilisés depuis plus de 20 ans dans la série.
Les premières scènes n'apportent rien à l'univers, mais on plonge avec malice et un certain émerveillement enfantin dans le monde de Bob qu'on redécouvre ; Patrick et Bob, amis débiles pour la vie, Carlo le râleur fainéant, Krabs le patron cupide et incarnation du capitalisme carnassier, Plankton le méchant looser, toujours en quête de la fameuse recette du pâté de crabe, Sandy l'écureuil scientifique texan... Des retrouvailles chaleureuses, mais classiques.
Jusqu'ici, rien de nouveau sous l'océan.
Et puis, un truc se passe, qui ne passe pas.
Un truc disparaît.
Gary disparaît, pour mener les deux héros dans une aventure vers (encore) un nouvel univers.
L'écriture, comme expédiée à la va vite, empêche tout intérêt pour cette quête sans queue ni tête.
S'accumulent scènes gênantes (la partie en images réelles avec les "cow-boys pirates zombies mangeurs de cerveaux" et leur boss Danny Trejo, à la dérive) et énormes longueurs (la séquence interminable des discours de tous les personnages pour plaider la cause de Bob et lui proclamer leur amour, appuyés par de balourds et inutiles flashbacks sur l'enfance des personnages réduit à elle seule toute la subtile ambiguïté qu'on se faisait sur l'histoire et l'âge de nos héros, et qui faisait une partie de leur charme). Les special guests, qui faisaient la patte absurde des précédents films (on se souvient encore de la nage mythique de David Hasselhoff dans le premier film), n'apportent rien, voire même lassent (ultime argument commercial, Snoop Dogg se demande encore ce qu'il a bien pu faire là-dedans). Alors que la rencontre entre Keanu Reeves et Bob L'Eponge avait créé le buzz sur internet il y a quelques mois, et excité les fans (moi le premier), elle tombe tristement à l'eau.
Il n'y a donc plus grand chose à sauver de ce film dont l'intrigue rame, lissée à l'extrême et sacrifiée sur l'autel du divertissement pour enfants, à grands coups de violons de Hans Zimmer (à la dérive lui aussi), de morales (sur l'apparence physique, l'importance de l'amitié, le manque d'un proche, ...) et de scènes qui s'enchaînent sans cohérence ni rythme.
C'était pourtant cela qui faisait toute la force et l'absurde beauté de Bob l'Eponge. Cet humour absurde, cet humour aux multiples lectures, susceptibles de toucher toutes les générations, cette volonté parodique assumée.
C'était ses personnages sans âge, sans morale, sans intelligence, tous ces névrosés, ces incarnations du vice transformées en petits personnages insignifiants rêvant d'une grandeur qu'ils n'auront jamais, ces scènes de schizophrénie totale, cette métaphore globale d'un monde qui n'est compréhensible que par l'absurde, où morale et loi de la physique sont oubliées.
C'était ce délire permanent sous opiacées, psychédéliques à souhait, cette accumulation volontaire de non-sens, d'impossibilités, de lectures croisées toutes résolues par la simple bêtise des personnages.
Bob l'Eponge c'est la connerie grandiose, c'est la débilité faite grand art et plus puissante que tout, qui dépassait tous les petits intérêts crapuleux de personnages souvent détestables, et parvenait toujours à vaincre l'individualisme.
C'était un recul halluciné sur tout ce qu'il traitait, avec une bienveillance jamais explicitée.
Lourdement explicitée dans ce film.
Bob l'éponge qui vire à la morale, Bob l'Eponge qui ne s'adresse (quasiment) plus qu'aux moins de 10 ans, Bob l'Eponge que tout le monde aime, ça n'est malheureusement plus Bob l'Eponge. C'est donc un Bob l'Eponge lissé, par la 3D, notamment, et par un puritanisme qui jusqu'alors n'avait que peu (pas ?) effleuré cet univers, peut-être trop perché pour être véritablement pris pour ce qu'il est, qu'on découvre.
Si on l'aime c'est pourtant précisément parce que sa connerie est la plus puissante des bontés, parce que sa bonté est la plus horripilante possible.
Si on l'aime c'est, comme Carlo finalement, parce qu'on aime le détester.
C'est pourquoi le film fait aussi mal qu'il énerve tant il noie cette vitalité, cette fausse naïveté, pour se transformer en produit marketing sans goût, censé (à la base) faire des entrées en salle et ne heurter personne.
La reprise finale du titre Take On Me de A-Ha est à l'image du film dans son entier ; lisse, molle, aseptisée, sans une once de second degré et d'énergie.
Sans sens.
La référence musicale récurrente au Titanic de James Cameron semble tristement métaphorique tant le film coule nos espoirs et son propre univers au plus profond de l'océan...
Stephen Hillenburg, le créateur de la série légendaire est malheureusement décédé en 2018.
C'est peut-être son âme qui manque à ce film...