"On prend sur soi."
Il y a au départ la petite histoire qui donne son origine cocasse au film : la rencontre, tumultueuse pour le moins, de François Ruffin avec Sarah Saldmann, chroniqueuse sans grande finesse du...
le 2 oct. 2024
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Il y a au départ la petite histoire qui donne son origine cocasse au film : la rencontre, tumultueuse pour le moins, de François Ruffin avec Sarah Saldmann, chroniqueuse sans grande finesse du plateau des Grosses Têtes, l'émission populo-libertaire de RMC (et devenue depuis, outre une conseillère creuse pour influenceurs aussi peu remplis, invitée récurrente et polémiste aussi fascisante qu'illégitime de CNews). En sortent quelques saillies choquantes mais répandues, des pépites sur la France des assistés, des fainéants, qui, forcément, par ce qu'elles disent des clichés tenaces qu'ont les Français (et c'est l'important, pas que les bourgeois) sur leurs compatriotes, ne pouvait qu'intéresser le député-ex-journaliste-trublion-cinéaste-présidentiable François Ruffin.
Épaulé par Gilles Perret, dont on admire le cinéma pour ce qu'il peut avoir d'engagé et ce qu'il trouve de beau en l'humanité, il propose à sa nouvelle coqueluche de lui faire vivre le quotidien de celles et ceux qu'elle critique. Les voici donc lancés dans une sorte d'expérience sociale extrême, un choc de classes comme on les pensait impossibles.
Parce que cette Sarah Saldmann, qui n'est en fait qu'un prétexte, que la bouffonne d'un jeu qui la dépasse sûrement (et auquel elle se prête avec un enthousiasme presque touchant- ce qui demeure problématique- qui confinerait peut-être à la naïveté enfantine), est une forme de caricature vivante qui a cela de fascinante qu'elle semble irréelle, trop grosse pour être vraie. On s'amuse à la voir effrayée par un troupeau de vaches (animal qu'elle n'avait jusqu'alors jamais vu), on est touché de la voir hésiter à frotter trop fort le crâne d'un malade lors de sa toilette, on se rassure en la voyant craquer en larmes face à l'écoute du récit des conditions salariales et de travail d'une auxiliaire de vie. Face à elle, la gouaille pure et sympathique de Ruffin a tout loisir pour s'exprimer.
En se faisant notre porte-parole face à l'abysse surréel que constitue Saldmann, il nous met instantanément dans sa poche. Cela semble très facile et presque un poil démagogique, et peut naturellement déstabiliser lorsque que l'on sait Ruffin actuellement lancé dans une carrière de récupération politique de certaines populations oubliées (volontairement ?) par une partie de la gauche. Sa posture d'arbitre, en incarnation auto-proclammée du peuple, rassure autant qu'elle peut parfois sembler trop calculée, s'octroyant à chaque instant le dernier mot, après le petit gag Saldmann, qui rappelle, certainement différemment, le pantin déroutant qu'était le conseiller de sécurité de LVMH dans Merci Patron !.
Ce tour de France des métiers, des villages ("des tours et des bourgs" pour reprendre un de ses récentes formules), dans la forme, peut s'avérer lassant, puisque le film ne consiste qu'en une succession d'étapes, de rencontres, sans autre fil apparent que sa clownesque (à son insu) protagoniste parvenue. Il lui manque peut-être (comme en avait justement une Merci Patron ! - dont on rigolera de voir mis en scène le César qui l'a récompensé) une trame plus solide, un objectif supérieur à celui dérisoire et perdu d'avance de faire changer Saldmann d'avis (Ruffin lui-même, dans un final réjouissant malgré tout, se l'avoue : "Il nous manque un happy end."). Dans ce sentiment de ne jamais démarrer, le film perd peut-être en force.
Mais cette galerie de portraits, par son effet de contraste constant, cache évidemment une puissance tout autre, toute politique, toute humaniste, tout cinéphile en somme : celle de créer des émotions, de mettre des noms et des visages sur la déshumanisante "masse salariale" et d'assumer une heroïsation toute marxiste du monde du travail et de ses petites mains.
Dans leur volonté faussement provocatrice de réinsérer dans le monde du travail les vrais assistés que sont en fait les plus riches, Ruffin et Perret fomentent en fait un délicieux carnaval, une occasion en or d'inverser (malheureusement temporairement) les rôles dont on rira de bon cœur, dont on s'émouvra larmes à l'appui et dont, mus par ce grand et ce beau qui s'échappent de ces prétendus petits, on sortira gonflés, motivés, peut-être (osons-le) plein d'espoir.
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le 2 oct. 2024
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