Récit de la guerre froide et adaptation d'un des meilleurs romans de Fleming, en tout cas celui que John Kennedy préférait, Bons Baisers de Russie est un film avec une histoire improbable certes, mais ce fait étant lui-même souligné par les protagonistes de l'intrigue, on ne peut que s'amuser d'être complice du regard de l'auteur sur ses personnages et sur son analyse des comportements socioculturels à travers les actions de ses personnages. Certaines séquences ou répliques peuvent paraître discriminantes ou misogynes. Il ne faut pas oublier que dans les romans, certains passages sont encore plus outranciers, même si ce n'est pas toujours aussi direct qu'ici. L'époque ne peut être une excuse, car des films tournés au même moment ne représentent pas les minorités ou les femmes de la même manière. Fort heureusement, tout cela est fait avec humour et distance.
Le machisme du film, donc, peut faire sourire ou énerver. Tout comme les thèmes flemingiens à peine dissimuler comme l'homosexualité des ennemis notamment Rosa Klebb. La perversion de cette dernière est d'ailleurs soulignée par une scène de voyeurisme qui a dû en choquer plus d'un à l'époque et qui serait étrangement plus difficilement faisable aujourd'hui. Il suffit de voir comment certains se pâment devant le fait que Bond couche avec une femme d'âge mûr dans le récent Spectre … Quelques-uns ont même crié au viol concernant la scène en question.
Pour revenir à Bond Baisers de Russie, on peut se poser la question de l'intérêt de présenter certains adversaires de Bond comme homosexués. Il faut savoir d'abord que Fleming infusait ses histoires d'ésotérisme. Le fait de ne pouvoir créer la vie rend en effet les personnages ennemis de la Nature et donc de Bond, représentant manifeste de la virilité hétérosexuel, capable et désireux d'engendrer. Celui-ci tend d'ailleurs à sa purification, en traversant diverses épreuves avant de rejoindre la part féminine incarnée ici par Tania. Même si celle-ci n'est d'abord en mission, tout comme lui, et qu'ils sont supposés faire semblant de s'aimer. OO7 est donc en recherche de transformation pour se trouver et trouver une harmonie naturelle, quasi mythique. Il lutte également contre l'asexualité. Elle se trouve personnifiée par Red Grant, d'autant plus qu'il n'a pas d'identité propre et vit sous celle d'un autre la majorité du film.
Tout ceci est au fond symbolique et spirituel, il s'agit de la quête du cœur d'un homme comme celle d'un chevalier recherchant le Graal. En respectant le schéma flemingien, c'est-à-dire en suivant quasi fidèlement le livre, la production s'assure logiquement une profondeur artistique.
L'action est soutenue et se permet même une référence à La Mort aux Trousses. Les scènes de train sont très belles et la charme des décors de l'époque fait son effet. Revoir les problématiques de la guerre froide pourrait faire sourire, mais semble plutôt actuelle en dernier ressort, à l'aune des évènements entre Russie et USA ces dernières années.
Citons un point historique du film : l'utilisation pour la première fois du "crash cutting" pendant la scène d'action finale par le monteur Peter Hunt, qui reste une référence qui inspirera les films d'actions jusqu'à Jason Bourne.
Autre élément à saluer, les acteurs ont pour la plupart mémorable ; une interprétation plus sûre de Sean Connery que dans le film précédent tout d'abord, une Tania tout en naïveté et surtout une Lotte Lenya manipulatrice et sans pitié commandant un Donald jouant parfaitement la force froide du tueur sociopathe qu'il incarne. La rixe entre lui et Sean Connery reste un grand classique, notamment grâce à l'utilisation du crash cutting évoqué plus tôt et la brutalité inhabituelle pour l'époque, le tout dans un endroit exiguë pour les deux messieurs aux larges épaules.
La musique de John Barry, quant à elle, libérée de la schizophrénie avec Monty Norman, développe tous ses arômes. Le générique en est une preuve flagrante, en réussissant le tour de force d'être à la fois élégante et dynamique. Au passage, ce même générique inaugure vraiment ce qui fera leur signature dans le futur alors qu'il n'est même pas confectionné par Maurice Binder, la légende derrière la plupart des ouvertures des films de la saga.
Un coup de maître après le coup d'essai qu'était Dr No. Une rampe de lancement pour les deux missiles qui suivront et assoiront l'univers bondien pour toujours dans l'histoire du cinéma.
En un mot : Kulturny.