Alors que Dr No (1962) était une bonne mise en bouche, Bons baisers de Russie inaugure véritablement le style et l'ambiance bondiens. Sur fond de géopolitique d'une urgence très contemporaine (le mur de Berlin est érigé en 1961), le film se déploie sur fond de conflit d'espionnage est-ouest. Mais pour se détacher de l'actualité, les scénaristes font le choix malin de faire lutter Bond contre une organisation terroriste qui berne les deux camps : le Spectre. La même organisation dont le Docteur No était un membre. L'action se passe ainsi en Turquie, pays d'une géographie stratégique, et dans le fameux Orient Express. Les scènes dans le train sont sans doute le meilleur huis clos de toute la saga, confortable et classe, mais néanmoins claustro et angoissant, rythmé par le battement des roues sur les rails.
Mais tout dans ce film est précis et millimétré. A partir d'une ambiance de guerre froide particulièrement solennelle pour un 007 et qu'on ne retrouvera pas ensuite dans la saga, se dégage paradoxalement un humour salvateur, notamment grâce aux mots d'esprit qui fusent et à des personnages qui savent se montrer chaleureux. C'était sans doute l'époque ! Les méchants, comme Rosa Klebb (Lotte Lenya) ou Red Grant (Robert Shaw) ont par contre des formules et un ton sévère qui claquent. Mais même Red Grant sait jouer le bon bougre quand il s'agit de donner le change face à Bond. On aperçoit aussi le sympathique Walter Gotell, ici dans le rôle de Morzeny mais bientôt chef du KGB à partir de L'Espion qui m'aimait (1977).
La Bond Girl Tatiana Romanova jouée par l'actrice italienne Daniela Bianchi est plus russe que nature et dégage un charme discret mais ensorcelant. Tout comme Sean Connery, qui a déjà trouvé son rythme de croisière. Mine de rien, il se paye même le luxe d'être plus sexy et d'avoir plus de présence qu'un Cary Grant dans un autre film d'espionnage culte : La Mort aux trousses (1959) d'Hitchcock. C'est aussi le premier rôle de Desmond Llewelyn, le cher Q qui était encore bien jeune à cette époque. Desmond est un monument dans la saga : c'est le seul acteur ayant le record de participation à 17 films de James Bond.
Bons baisers de Russie est clairement un chef d'œuvre. Il ne propose peut-être pas autant d'exotisme, d'extravagance, d'ennemis mégalomanes ou de cascades spectaculaires que dans les films qui suivront mais les acteurs étaient tous parfaitement à leur place et les scénaristes avaient la recette du cocktail qui fera le succès de la saga. Et 007 a eu chaud avec le soulier à pointe de Rosa Klebb !