Se rétamer en toute neutralité
Premier opus de la trilogie « Coeur d’or » (complétée par Les Idiots et Dancer in the Dark), Breaking the Waves est un spectacle très aléatoire, entre la claque esthétique objective et le bis pseudo-expérimental le plus poussif. Il suit les pérégrinations d’une femme légèrement niaise et aliénée, comme Bjork dans Dancer in the Dark a-priori, mais de nombreux étages en-dessous sur le continuum du grotesque. Bess (Emily Watson) est l’otage d’une communauté religieuse isolée au nord de l’Ecosse. Elle travaille dans une plate-forme pétrolière.
Lorsqu’elle se marie, elle s’ouvre à quelques joies et nouveautés. Puis survient l’accident de Jan (Stellan Skarsgard), suite à quoi elle va interpréter des rôles très loin de sa personnalité habituelle, afin de vivre un peu au lieu de continuer à subir en restant éteinte et conforme, tout en se permettant quelques expressions de colère de temps en temps. Watson est remarquable et même pas répugnante (ni probablement malmenée sur le tournage) comme Bjork dans Dancer in the Dark. Contrairement à ce dernier, mais aussi à de nombreux opus comme Epidemic ou Nymphomaniac, le film dans son ensemble n’est pas éreintant ou mal-aimable.
Non, Breaking the Waves n’agace jamais, il coule docilement sur vous sans affecter, ne génère ni enthousiasme ni frustration – si on connaît le cas Lars Von Trier ou reste disposé. Au-delà de son côté Bergman superficiel, le film impose un certain respect grâce au travail esthétique dont il est l’objet et à la performance inoubliable d’Emily Watson. Celle-ci provoque l’adhésion au fur-et-à-mesure et donne du relief à l’ensemble. Mais fondamentalement, lorsque le sort l’acharne, il ne se passe rien. On observe une souris péter les plombs, se libérer, trébucher et disparaître rapidement ; ça interpelle par moments, mais l’attachement est nul. Ce film-là a plus de caractère qu’un Lars moyen, mais sinon ses deux grands atouts il reste à néant : c’est Melancholia purgé de sa substance.
Breaking ré-affirme ce côté dérisoire propre aux films de Lars Von Trier, semblant investir son énergie à raconter des choses et des personnages insipides, mais cette fois il en extrait une solennité, un caractère fini, annonçant une tendance que Dogville et Antichrist viendront confirmer. Il y a toujours également cette propension à simuler l’amateurisme comme pour mieux souligner que la grandeur conceptuelle n’avait pas besoin d’être mise en boîte dans un écrin ayant sa propre validité. Mais Von Trier a du goût et ainsi il alterne DV granuleuse et travail expert, fonds d’écrans Windows 95 new age et réelle beauté picturale. Les qualités formelles sont importantes, entre les ouvertures de chapitre en musique et les tableaux où Lars semble nous montrer une autre planète. Pour ces quelques visions, Breaking est un produit notable, mais si cela suffisait, Il était une fois en Anatolie serait valide et Tree of Life deviendrait un nanar sympathique.
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