Un tel projet était inespéré depuis une vingtaine d'années. Le téléfilm en deux parties a probablement été un heureux cauchemar pour de nombreux jeunes spectateurs, initiés à l'Horreur par les productions du petit écran, concentrées en France sur M6. L'adaptation sur grand-écran menaçait d'être sujette au syndrome Stranger Things – une série 'nostalgeek' pour toutes les générations nées après 1980. Finalement le nouveau It, confié au réalisateur de Mama, arrive à capitaliser sur les modes et son modèle tout en prenant des libertés.
Cette prise d'autonomie se trouve d'abord dans le scénario et les apparences des personnages secondaires – également dans l'introduction de l'humour (fragile dans le livre et inexistant dans le téléfilm). D'abord cet opus évite les méandres temporels du script originel : tout se passe ici quand les protagonistes sont enfants (dans les années 1980 au lieu des 1950) et leurs pérégrinations d'adultes seront pour la suite (dont la sortie est promise pour 2019). Cette version ajoute des détails connotés sexuellement, en plus d'être assez crûe verbalement sur le sujet – en même temps elle évacue des aspects plus directs contenus dans le livre (le tome 1 commençait quasiment sur une histoire de bar devenu gay à l'insu de son propriétaire). Les enfants sont plus cyniques, généreux en vannes potaches et leur vocabulaire est parfois brutal. Richie la grande-gueule est peu crédible sous les traits de Finn Wolfhard (la voix en VF plombe encore le dossier) et son personnage est bien plus lourd que dans le livre – mais il fait gagner en vraisemblance au film, comme tous les détails concernant le gros (Ben par Jeremy Ray Taylor).
Le club des ratés est relativement triomphant (en atteste la scène des cailloux, où la victoire était moins éclatante en 1990 et même en 1986). Leurs doutes et leurs peurs sont évacués, sauf pour quelques micro-passages à base de mines déconfites ou en détresse. Les phobies sont toujours prises en compte sur le plan graphique, en fonction des aventures, le moins possible au niveau des personnes.Le téléfilm tenait toujours à distance et avait une difficulté à immiscer même dans les phases d'intimité ou les moments viscéraux. Le film implique par la force, celle des effets et d'un montage sonore agressifs. La photo pour la télé était délavée, celle du film est plus sombre et artificielle – et tout est assorti. La réalisation ne retient ni psychologie ni subjectivisme. Elle engendre une sorte de film choral light (plus proche des Goonies que de Stand By Me). Le style est oppressant, les émotions semblent plaquées – heureusement le film sait rendre sympathique les personnages et sait accrocher en général (ou révulser si une tenue mécanique, même virtuose, est insupportable au spectateur – également si ses tympans sont délicats).
Le Ça encadré par New Line et Muschietti n'a pas de colonne vertébrale, sauf celle déjà écrite, dont il se sert comme d'un support et prétexte à plaquer des images. Et là-dessus il est assez brillant : voilà un film superficiel avec une excellente mise en scène – tant qu'on s'en tient à la performance. Les décors et lumières (le chef opérateur est un fidèle de Park Chan-wook, Chung Chung-hoon) sont remarquables. Contrairement à Stranger Things, Ça ne s'attarde pas sur les sentiments et les côtés kitschs, pratique peu la citation. Il prend le plaisir régressif mais en cherchant de nouvelles formes plutôt que la ré-actualisation, saisit un maximum d'occasions pour injecter des trucs dérivés (la mère de l'asthmatique, les costumes de Pennywise/Grippe-Sou). Le gore est récurrent et les agressions bien plus virulentes : dans la scène lançant les hostilités avec le sacrifice du petit Georgie, ce dernier finit le bras arraché, son sang se diffuse dans les traînées de pluie, avant qu'il ne soit emporté par le monstre.
Le supplément (colossal) de moyens par rapport au téléfilm permet des manifestations désinhibées de violence ou de monstruosités voyantes – la salle de bain est maintenant littéralement couverte de sang (comme dans le livre). Pourtant certaines faces ont des allures ouvertement superposées, comme ces collages rappelant Ring ou des démons numériques. Ce choix étrange renforce le côté 'train fantôme' à destination des inconscients pénétrés par le virtuel et permet d'accomplir un certain grotesque – qui semble traverser tout le film en prenant l'ascendant spasmodiquement. Le clown apparaît comme une créature extrême tout en étant un méchant plus conventionnel. Dans le téléfilm son aura était surréaliste et il avait des postures de farceur. Dans ce film, c'est une sorte de psychopathe à cran, entre la poupée aigrie et le Joker [de The Dark Knight] androgyne ; une bestiole carnassière sans âme (ou celle d'un troll lugubre fatigué de penser, ressentir, se présenter) avec des dents comme des lames de requin mécanique ou d'instrument de torture. Il n'est plus l'ennemi tout court mais l'ennemi principal et le champion d'un bestiaire de monstruosités : les spectateurs profiteront d'apparitions bonus (sous forme de créatures comme de coups de pression). Si le R-13 est justifié, les nombreuses agressions relèvent finalement du harcèlement, car peu de morts sont à déplorer. Les spectateurs plus jeunes ou moins attachés au roman (et à ses possibilités) sont les premières cibles et seront certainement les premiers ravis du spectacle.
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