La déception est grande, à mesure où j'attendais cette nouvelle adaptation, et pourtant je ne voyais pas vraiment la chose arriver, me disant qu'avec un tel background Muschietti avait peu de chance de se planter, il fallait limite le vouloir... Mais d'un sens j'ai aussi repensé à cette réflexion que je me suis faite la dernière fois après avoir vu Annabelle 2, si nous mesurerions un jour le mal qu'on fait des réalisateurs à succès comme James Wan au genre horreur, parce que j'ai la très nette impression que cette plaie ouverte n'est pas prête de cicatriser, comme une sorte d'impasse (vaste sujet). Après évidemment je parle en mon nom, si des gens prennent leur pied devant cet archétype de cinéma d'épouvante tant mieux pour eux, mais je trouve ça triste que la peur soit devenue un spectacle ambulant, en gros de l'horreur blockbuster, profitant de l'expérience traumatique de toute une génération grâce au téléfilm culte de 1990, mais aussi du phénomène des pranks vers la période d'Halloween (où l'on voit des petits malins déguisés en clowns), sans compter le fait que le roman de Stephen King reste à ce jour son plus gros best-seller. Tout était donc réunit pour un succès commercial, qui aux dernières nouvelles n'a pas manqué, même bien au delà des espérances de la Warner, là aussi tant mieux pour eux, mais personnellement mon petit cœur saigne, à chaudes gouttes, car sans nécessairement avoir voulu retrouver l'esprit du téléfilm ou une adaptation disons plus à cheval sur le livre j'osais espérer être transporté pour revivre cette histoire, en vain, et ce pour de multiples raisons.
Tout d'abord la composition du film en elle-même, c'est à dire ne raconter que la partie enfants sur plus de 2 heures, n'est à mon sens pas une bonne idée, car c'est justement la force du livre et même du téléfilm de raviver les souvenirs des adultes pour faire du ping pong avec leurs flashbacks, ici nous avons affaire à un long métrage linéaire et fragmenté aléatoirement, tombant inévitablement dans un sentiment de redondances sans effets secondaires. Encore que les premières 30 minutes sont plutôt bonnes, à ce moment là j'y ai cru, le temps que les personnages soient introduit suite à l'événement fondateur de cette histoire, c'est à dire le meurtre de Georgie où l'on met un visage (certes bien connu) sur l'horreur qui va suivre, toutes les apparitions se nourrissant des peurs des enfants, encore fallait-il leur donner une puissance en terme d'épouvante, et le problème est principalement là. Sans vouloir toutes les passer en revue je ne retiendrais donc qu'une impression d'empaquetage de séquences avec à chaque fois les mêmes méthodes de mise en scène, la tension est rendue factice car sans surprise, on anticipe tout, et je ne vais pas encore rabâcher sur ce que je pense de ce cancer qu'est le jumpscare mais on y a droit, à maintes reprises, les trailers ne nous avaient pas menti, en nous spoilant admirablement d'ailleurs. Car après tout ça que reste t-il ?...
Et bien pas énormément de choses, parce que même au niveau adaptation du bouquin il y a à la fois des passages très fidèles et d'autres détournés, on en revient au fait que vu que cette première partie se concentre uniquement sur les enfants que l'espace vacant éludant les adultes se concatène maladroitement, enfin je dirais sans trop de vie (loin d'un Stand by Me, qu'il tente de se rapprocher), si ce n'est le parfum malicieux insufflé au ton du film, presque en décalage, comme par exemple le moment où Bev trouve le poster de New Kids on the Block derrière la porte de la chambre de Ben, il y a 2-3 petits trucs comme ça franchement sympa, où la comédie s'invite. L'alchimie entre les enfants se fait plutôt bien d'ailleurs, où quelques jeunes acteurs se révèlent, notamment Sophia Lillis (Beverly) et Jack Gazer (Eddie), mais les moments de complicité sont un peu pris par dessus la jambe, peut être parce que les dialogues manquent quelque peu d'authenticité et sans cesse à la recherche du bon mot de Richie pour désamorcer l'émotion, parfois malaisante, faute à cette musique qui s'immisce tout le temps pour l'instrumentaliser. Car il faut le dire, la bande originale est mauvaise, voire horripilante dans son rôle de surligneur maladif, très quelconque et peu inspirée (contrairement à l'excellente partition du téléfilm de 90), pour preuve je n'ai retenu aucune mélodie, ça peu paraître anecdotique mais dans un film qui tend à être autant mémorable ce détail se retourne salement contre lui.
J'en viens à Grippe-Sou/Pennywise, et là je suis assez contrasté, car je trouve la prestation de Bill Skarsgård très honorable, où l'excès de son jeu colle bien au personnage, dans un autre registre que l'excentricité sordide et caverneuse de Tim Curry, ce qui me coupe l'envie de comparer les acteurs, par contre la manière de le placer dans l'histoire est déjà plus critiquable (sans parler de la post prod pour lisser son visage), car le monstre se devait à mon sens d'être bien plus mystérieux et ancré dans le passé de Derry, par exemple les chroniques des carnages de l'aciérie ou des colons, les représentations restent vagues, enlevant le caractère millénaire et implacable du "dévoreur des mondes". J'ai vraiment eu la pénible impression que Muschietti a voulu faire de cette entité maléfique protéiforme un alibi pour envoyer son public dans un Roller Coaster, quitte à devenir un gros bordel, l'exemple typique étant toute la séquence de Neibolt Street où on suffoque devant une multiplication de balourdises, peu étonnant d'ailleurs que la promo du film ai été jusqu'à créer une attraction directement inspirée, qu'est ce que l'épouvante pour ces gens si ce n'est de faire un tour dans le petit train fantôme ?... Surtout que ça ressemble en tout point à un climax, alors qu'il restait une bonne demi heure de film, bref.
Je dirais que le relatif soucis entre l'adaptation et la création cinématographique est clairement posée, j'ai par hasard visionné la veille le téléfilm Shining de 1997 qui est une version calquée presque page par page du bouquin de Stephen King, donnant un rendu télévisuel indigeste et surréaliste, et le Ça de Muschietti a quasiment cette même ambition, tout en rafistolant la chronologie et modifiant pas mal de choses comme précédemment dit. Mon avis est que l'univers de King est difficilement transposable à l'écran si l'on s'efforce à s'accrocher à son style caractéristique (et exclusivement littéraire), on ne peut pas paraphraser des détails à demi mesure (j'en veux pour preuve La Tour Sombre), et j'ai même envie de dire qu'heureusement qu'il ne va pas jusqu'au bout, au risque de se retrouver avec quelque chose de foutraque au possible, ce qu'il est déjà un peu. De plus la mise en scène de Muschietti n'aide vraiment pas, car sans grande retenue, la caméra a un mal de chien à se poser ne seraient ce que 5 petites minutes, on est toujours dans cette logique de démonstration, de simili spectacle, la peur n'a pas son mot à dire, elle veut juste te sauter à la figure avec sommation, loin du fourmillement de détails que peut fournir le livre ou d'un contexte qui aurait le supplément d'âme suffisant pour dégager ce degré de fascination bienvenu.
Pour finir sur une note plus positive j'aimerais m'attarder sur deux passages qui m'ont pour le coup vraiment plu :
- En premier la séquence de la seconde apparition de Ça où Mike livre la viande à l'arrière de la boucherie, un des rares moments de pure épouvante car on est davantage dans la suggestion, on ne fait qu'entrapercevoir le clown derrière les rideaux, ses yeux s'allumant comme des phares tels les spectres du Fog de John Carpenter, ce qui donne un petit relief fantasmagorique, autant en terme d'instantané que d'imagerie. Très réussi, les suivants ne seront que des redites moins efficaces (le tableau de Stan ou le fantôme sans tête de Ben) encore que plus ou moins correctes par rapport à ce qui suivra (la fameuse escalade jusqu'à l'apothéose Neibolt Street + la fin dont je ne préfère pas parler).
- En second la séquence du meurtre du père Bowers, passage assez cru et difficilement montrable, mais relevé par cette psychose téléguidée de A à Z par Ça, à un moment où le film partait un peu dans tous les sens à se gargariser de ses jumpscares on a cette parenthèse de folie douce, où la présentatrice s'adresse directement à Henry à travers le poste tv (qui n'est pas sans rappeler un extrait des Tommyknockers où Beckie tue son mari infidèle en l'électrocutant), assez génial. Même si je suis réservé quant à son utilité, sachant finalement ce qui arrive ensuite à ce cher as du canif, ou quoi qu'il en soit c'est une des prises de liberté des scénaristes qui tombe un peu à l'eau (vis à vis du plan du clown).
En conclusion je pense que le Ça de Muschietti n'est ni une bonne adaptation ni un bon film, cependant il reste un bon produit reflétant totalement cet état de grâce des blockbusters horrifiques, ceux qui attirent facilement un jeune public peu regardant et des gens qui comme moi attendent patiemment (et connement) que le cinéma d'épouvante retrouve sa pleine essence, je ne cache pas mon abattement pour tout dire... Après pour ne pas tomber dans l'exagération cette première partie n'est nullement insupportable ou ennuyeuse au point de quitter la salle, juste décevante pour ma part, conformément aux attentes placées en elle, et je n'imagine pas la suite sauver les meubles, quoi qu'avec des flashbacks inédits, des points du scénario mis en lumière (quid des lueurs mortes ?) et une meilleure fluidité, mais ça serait encore tomber dans le piège... Bref c'est la loose.