Le premier long-métrage de Du Welz est resté son opus le plus valorisé et a suscité l'enthousiasme chez les nerds de l'horreur à l'époque, qui le rattachaient à la poignée de tentatives solides en la matière chez les francophones (comme Haute tension). Calvaire est assez bien reçu par la critique, plus diversement apprécie par les spectateurs. Du Welz reviendra quelques temps plus tard (2008) avec Vinyan, mal-aimé voire incompris. Il faudra attendre six ans pour que le cinéaste présente une autre création : en 2014 sort Colt 45. Presque renié, sujet à trop de compromissions, cet opus maudit cède la place à un projet beaucoup plus personnel et libre : Alléluia à l'infâme et fascinante romance. Dans ce quatrième long, Du Welz retrouve le 'héros' du premier, Laurent Lucas.
Dans Calvaire, Laurent Lucas (le père de famille sous emprise dans Harry un ami qui vous veut du bien) interprète un chanteur de charme bloqué dans une quasi friche des Ardennes, peuplée de cinglés profonds. Les habitants du village sont tous dans une transe en se remémorant Bella/Gloria ; l'approche est fantaisiste mais nullement fantastique. La qualité du film est justement de pousser ses éléments (humains compris) le plus loin possible tout en restant dans un cadre trivial ; que ce soit béton à la base pour s'autoriser à être magique dans un mode nauséeux. Dès le départ de toutes façons, Marc Stevens est prisonnier des damnés. Dans les premières séquences, il fait son numéro devant un parterre de femmes, surtout des vieilles mais pas seulement (Brigitte Lahaie a une scène), prêtes à s'accrocher à lui, le presque pas zombie. Ce désert terreux pue la désespérance et l'inanité. Les gens du village sont donc des perdus de plus haut niveau.
Calvaire s'inscrit dans la tradition des films avec consanguins de l'arrière-pas (ou tarés divers, à la racine ou devenus ainsi à l'usure), mais en le modelant complètement à sa sauce. Comme le signait déjà le court Quand on est amoureux c'est merveilleux, Calvaire se trouve aussi dans la lignée de ces créatifs belges à l'humour macabre, dont Poelvoorde a été un des fer de lance et surtout un des plus odieux avec son C'est arrivé près de chez vous (1992). Entre ce dernier et Massacre à la tronçonneuse de Hooper (1974), Calvaire joue le rôle de chaînon manquant. Même s'il n'est pas encore dans une optique viscérale comme pour Vinyan ou Alléluia, Du Welz gomme les distances. La furie graphique de Quand on est amoureux a cédé la place à une approche plus équilibrée, glacée mais habitée de démences foudroyantes, palpées de prêt, pas comme des 'gadgets'. C'est à la fois grotesque, triste au-delà de tout, hilarant à un certain degré. Ce côté sinistre burlesque voire un peu yolo engendre des personnages, des répliques, des lieux aux réalités effarantes, avec leur génie en tant qu'objets de cinéma.
On comprend facilement que ce film puisse devenir 'culte', certes pour un nombre limité, mais justement ; c'est le genre d'oeuvre qui se donne, avec son originalité inouïe (qu'on peut trouver surjouée parce qu'intransigeante), sa révérence relative à des ambiances ou des avatars passés (Du Welz exprime une culture identifiable [marquée 70s : Délivrance, La colline a des yeux..], sans s'en faire le kapo fossilisé) : c'est fougueux mais maîtrisé, on y voit un monde aberrant mais livré sur un plateau d'argent. On peut y croire à fond, retrouver des éléments dont on aura déjà vus les germes sans que le monde commun les ai laissés croître, du moins de façon si désinhibée. Certains exploits sont difficiles à avaler (la séquence du bar), les moments de face-à-face et d'intimité étant les plus mémorables et 'crédibles' (le chant à table, la boue mouvante avec Nahon). Le poids des références et le manque de vibrations déterminent le film mais brime aussi sa puissance ; les œuvres à venir seront plus émancipées, plus 'intensément' sauvages.
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