En 2010 Roman Polanski est assigné à résidence en Suisse à cause de ses vielles démêlées avec la justice concernant une affaire de viol sur mineure trois décennies plus tôt. C'est à ce moment qu'il conçoit son prochain film, une adaptation de la pièce Le dieu du carnage (2007) de Yasmina Reza. Ils ré-écrivent son œuvre ensemble et déplacent le cadre de Paris à New York (Polanski est interdit de séjour aux USA depuis 1977), pour attaquer la bourgeoisie locale, son hypocrisie mondaine et son 'politiquement correct' (entendu surtout comme posture ou correction de surface – peu d'enjeux sociaux sont au rendez-vous), selon Polanski lui-même.


Sorti après l'ambitieux The Ghost Writer, Carnage est donc une comédie de mœurs avec un côté plus ludique et artisanal. Le spectacle dure à peine 1h20 et est un concentré de misanthropie, à la marge de misogynie, où Polanski règle ses comptes avec des cibles abstraites, sociologiques. Les situations sont assez poussives au départ, avec des répétitions ; on piétine avec ces deux couples, en temps réel, les gênes saillantes cachant bien mal des amertumes et une tension exécrables. Carnage a du mal à démarrer puis plus aucun à envoyer des punchline mordantes et briser les masques ; néanmoins il y aura toujours la sensation d'une mise en scène un peu forcée. La réunion des quatre protagonistes pourrait facilement être écourtée et Polanski n'est pas très subtil lorsqu'il s'agit de faire durer et retenir le couple Winslet/Watz dans l'appartement de Foster/Reilly. Les piques sont cinglantes mais le niveau reste peu profond, même si ce happening à tendance nihiliste ne manque jamais de faire rire.


Au fond c'est un film assez fainéant, même s'il est rusé. Pour donner une assise à leur point de vue, Polanski et Reza se reposent sur Waltz, le malin blasé donc le plus doué de tous, avec sa longueur d'avance. Après sa révélation dans Inglourious, il est chargé de jouer le cynisme yolo donné comme positif – la démarche est particulièrement appuyée et le personnage tout de même moins génial que ce que semblent estimer ses géniteurs. Tout le monde est remué, mais pas lui, ou alors c'est sans incidence : il est tout aussi vil que ses camarades mais lui l'assume, comme il assume la violence du monde, où il sait marquer des points. Lui est en phase avec 'le réel' présumé, au contraire des trois autres ; des femmes surtout, attelées à tout refouler ou transformer, sur leur propre compte pour commencer. Les deux femmes sortent largement humiliées de la séance, avec d'un côté Jodie Foster en flic liberal poussée à bout ; de l'autre Nancy la bonne épouse de droite, douce et sage, mais surtout vraie petite névrosée conformiste. Elle est simple à abattre et rapide à court-circuiter ; d'autant plus charmante qu'elle est faible et pathétique, tout en étant bassement matérialiste comme tout le monde.


Carnage est un petit Polanski très rempli. En tant que divertissement il fait son office avec un certain bonheur ; il est trop court pour tourner en rond. Il recèle surtout un mépris farouche envers le genre humain en général et les ambiances sociales proches des auteurs en particulier. C'est donc un jeu 'anti-bourgeois' mis au point par des parties prenantes écœurées par leurs prochains ; un jeu pour esprits un peu alourdis, ballonnés, se lâchant avec ivresse et assurance, à coup d'assertions définitives, éventuellement un peu courtes ou médiocres. Ça vocifère avec éclat et mollesse à la fois, sans gravité tout en étant bien laid ; un peu de cynisme sur soi et les acteurs du petit monde. Tout simpliste qu'il est le tableau dressé est assez dévastateur humainement parlant et nourri par une agressivité et un mépris monumentaux ; difficile d'apprécier un spectacle aussi mesquin, cynique voir réactionnaire si on tient soi-même à être un chantre de valeurs humanistes ou émancipatrices, par rapport à la brutalité de la société ou à la place des femmes.


https://zogarok.wordpress.com/2015/04/27/carnage-polanski/

Zogarok

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8

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