De l’esthétique du catalogue.
Le théâtre filmé du récent Venus à la fourrure, d’une grande intelligence, subtil dans la réflexion portée sur l’adaptation, la littérarité d’une œuvre à l’épreuve de son incarnation, ne pouvait que motiver à voir cette autre tentative de Polanski qu’est Carnage.
Il faut bien entendu accepter de jouer le jeu d’un huis clos et d’une situation unique, d’un débordement verbal fondé sur la gradation pour se laisser séduire dès le départ. Car le départ est plutôt prometteur : des comédiens affutés, Foster et Waltz en (très large) tête, distillant leur désaccord avec une perfidie raffinée, sous le masque de la convenance sociale. La construction fondés sur les valses hésitations des différents départs, différent une conclusion qui n’advient jamais, est plutôt malicieuse elle aussi.
Seulement voilà, un moyen métrage aurait suffi. Emprisonné dans sa logique de la surenchère, l’échange dérape dans tous les sens du terme et condamne les comédiens à surjouer une situation qui a tout de l’exercice de style. On reprochera moins ici son académise paresseux à Polanski que les qualités littéraires et dramaturgiques de la pièce qu’il transpose à l’écran. D’un systématisme irritant, sur écrit, tout fonctionne comme un programme bien huilé : les conflits et les alliances tournent, (les couples opposés, les femmes unies, les hommes unis), les sujets de discorde défilent comme les pages d’un catalogue : le portable (pitié, la dénonciation de l’addiction au téléphone portable !!), le racisme, l’éducation, l’amour en un règlement de compte aussi stérile que dénué de toute capacité à émouvoir.
Pire, les éléments narratifs censés renouveler une situation initiale bien maigre, convenons-en : dans l’ordre, donc : du vomi, de l’alcool (parce que c’est connu, l’alcool délie les langues, même si le fait de voir toute la compagnie, les femmes surtout, se précipitant sur la bouteille n’a absolument aucun sens), et une pseudo intrigue pharmaceutique avec un rebondissement attendu dès la première mention.
Alors oui, l’échange reste en suspens, sans fin véritable, seul reproche que pourraient faire ceux qui aiment le film –et la pièce, mais qui est à mon sens fidèle à cette supercherie insipide : pour autant qu’on sache, les catalogues n’ont pas de conclusion, ils s’arrêtent à la fin de la liste des articles qu’ils cherchent à vendre.