Basiquement, c'est un drame en milieu scolaire ; pourtant Class of 1984 est souvent classé en science-fiction. Cette catégorisation hasardeuse va dans le sens dans son idéologie. Ajoutée à son issue extrême, celle-ci fit scandale et attira les foudres de la critique. Class of 1984 est très engagé : contre la délinquance juvénile, le laxisme dans l'éducation – personnelle et à l'école. C'est aussi un thriller redoutable et assez novateur à sa sortie (1982), démarrant très cheap, gagnant en puissance à mesure qu'il déploie les facettes de son logiciel. À la croisée du vigilante movie (dont le phare est Un justicier dans la ville avec Bronson) et du cinéma de violence urbaine décrivant un présent maudit (Les Guerriers de la nuit, L'ange de la vengeance), il met en lumière la dégradation de l'enseignement et la menace représentée par des tribus de jeunes sans foi ni loi. Il anticipe l'introduction des détecteurs de métaux sur les campus américains et se fait pionnier d'une vague de films sur le délitement et la violence scolaires (dont 187 code meurtre est un extrait fameux mais tardif). Pour les qualités visionnaires qui lui sont parfois prêtées depuis, pour son état d'esprit alarmiste et enfin pour sa synthèse des genres (et la présence de plusieurs références à des films impliquant une violence fatale – comme l'écho à Carrie et son bal ensanglanté), il est devenu un film culte.
Le profil d'Andy Norris est intéressant. Le spectateur débarque à Lyncoln puis traverse les épreuves avec lui. Le point de vue adopté se confond avec le sien, la seule marge étant dans sa réticence à accepter l'inéluctable ; sinon, son acharnement est salué en toutes circonstances. Ce nouveau prof est un ''idéaliste'' et surtout un novice (dans ce genre de bahuts). C'est un bon bourgeois, bienveillant et confiant jusqu'ici, passant à la réalité la plus poisseuse et restant solide face à l'adversité. En d'autres termes, Andy Norris est le potentiel ''bobo bien-pensant'' mûri par sa confrontation honnête et virile avec la violence, atteint par elle dans son idéal, dans son mode de vie et dans sa chair. Andy Norris est un intello doublé d'un organisateur (son action est aussi positive, comme en atteste l'orchestre) et c'est le prof idéal, celui que des chantres de l'ordre et de la répression accueilleront avec jubilation. C'est le bon gauchiste du droitiste, apte à requinquer les réactionnaires esseulés. Il a la vocation quand les autres sont usés ou complaisants. Démissionnaires, ils surveillent (car ils sont présents, après tout) et ne font rien. On ne s'étonne plus dans les rangs : les adultes savent que la loi couvre les jeunes, le flic est abattu, le proviseur stoïque (au plus fort il accepte encore tranquillement la situation : « le vandalisme n'a rien de nouveau monsieur Norris »).
Pire, le système se retourne contre celui qui remue le statut quo (c'est-à-dire la décadence) : un jeune s'abîme lui-même pour le faire accuser et l'administration menace Norris. Dans ces conditions, les profs ne peuvent que s'effacer ou suivre la politique de l'autruche. Pas de zèle : sans trop laisser-aller, il faut maintenir à flots, suivre l'exemple du proviseur qui se contente de tasser toute secousse et pense à sa future affectation. Et lorsqu'ils ne tiennent plus, leur pétage de plomb légitime se retourne forcément contre eux. La riposte d'Andy marque donc un sursaut de morale et de bon sens : un élan héroïque à son échelle, où l'individu droit s'avoue l'échec de son monde et du système dominant pour s'engager comme un éclaireur ; sa vendetta a des vertus sociales, c'est la réaction de l'homme sain cessant de louvoyer et purgeant ses tensions comme celles d'un monde en déliquescence. Andy réplique en jouant hors-piste lui aussi : on ne traite pas les voyous en prenant des gants, quand eux utilisent le système contre vous et alors que tout le monde prend leur parti, par résignation, cécité volontaire ou parce qu'on est un autre maillon de leur démence. Toutefois, même si le film prend son parti, il suggère les drames engendrés par ce climat de déchéance morale et sociale. D'ailleurs le leader de la bande de punks révèle son génie au piano ; c'est déjà trop tard, il est perdu. On laisse apercevoir les complexes de certains d'entre eux, leur dimension pathétique ; l'urgence et la brutalité des situations rendent la compassion inappropriée. Pas de rémission pour ces anarchistes dévoyés. Class 1984 montre l'impossibilité de racommoder et ignore scimment toute ''excuse'' potentielle.
Les intentions du film sont toujours explicites et ses méthodes outrancières. Si l'aspect pataud heurte à l'ouverture, la charge générale et la puissance logée dans les caricatures changent vite la donne. Alliée à la démarche cathartique, cela peut rendre le spectacle jubilatoire, en tout cas lui conférer un charme supplémentaire, une densité dans sa texture vintage. Visuellement, c'est pas somptueux, la mise en scène manque d'intuitions sophistiquées mais pas de panache, la photographie est standard et sans grâce ; c'est bien ce volontarisme et cette colère qui rendent la séance si efficace, mais aussi un brio narratif. Mark L.Lester (auteur trois ans plus tard de Commando avec Schwarzenegger – un autre genre de kitsch ahurissant) laisse dans l'incertitude et met sous pression : le discours est tranché mais rien n'est acquis d'avance dans le récit. À moins d'être braqué la séance coule sans entraves, parle aux tripes et met au défi la raison face à des arguments obscènes : c'est Eden Lake avant l'heure, corrigé par une hystérie solennelle. Certains spectateurs marqués idéologiquement seront nécessairement outrés, même en y allant avec bonne volonté.
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