Ceux qui ne le tuent pas, le rendent plus fort.

Critique basée sur la fin du film.


Comment se douter, en lançant pour la première fois Conan le Barbare, premier grand succès de la carrière d'Arnold Schwarzenegger, qu'on aime souvent considérer faussement, avec son pote Stallone, comme un sous-acteur ne faisant que du sous-cinéma de divertissement, qu'il ne constituerait nullement une oeuvre bourrine, emplie d'action et décérébrée dont le seul but serait de mettre en avant les biceps inimitables de sa star en éclosion.


Comment se douter alors que Conan le Barbare, écopant d'un titre qui inaugurait pourtant d'un personnage profondément simpliste (si ce n'est animal), construirait du haut de ses deux heures dix une fable passionnante sur la religion teintée de mythologie, de surnaturel et d'un conte axé sur la nature cruelle des hommes dirigeants se heurtant contre la destinée glorieuse d'un unique homme orphelin, créé par celui là même qu'il se jurera d'anéantir toute sa vie.


La dualité de l'homme, évoquée dans une scène d'introduction à la barbarie tragique, trouvera ses prémices dans le regard que la mère de Conan, sosie d'un autre-temps d'Arielle Dombasle, lancera au mystique Thulsa Doom, campé par l'inoubliable et magnétique James Earl Jones. Devenu le père spirituel de Conan en tuant ses deux parents sans ne jamais montrer à l'enfant la moindre émotion, il donne finalement au personnage une raison de vivre, et au film sa principale d'exister : l'histoire de vengeance que John Milius (Apocalypse Now, L'Aube Rouge) et Oliver Stone (Platoon, Né un 4 juillet) développent s'étendant au delà de la simple volonté de meurtre, nous sera proposé un dilemme inattendu : comment tuer la seule chose qui le rattache d'une part au passé, qui représente la mémoire de ses défunts parents, et demeure seul prétexte à son existence barbare?


Comment se reconstruire alors, à n'exister finalement que pour voler et tuer, si ce n'est par un amour censément impossible, romance tenue par l’intrigante Sandahl Bergman et le plus imposant des cimmériens, un Arnold Schwarzenegger à des années lumières de son futur rôle de cyborg indestructible? Lui qu'on croyait au départ intouchable et incapable d'éprouver la moindre émotion, de faire autre chose qu'écraser ses ennemis, les voir mourir devant lui et entendre les lamentations de leurs femmes, serait capable de ressentir des émotions.


Tout comme son interprète : en apothéose de son intrigue, au moment où s'est réalisée sa destinée de Messie vengeur (avec tous les sacrifices qu'il devait accomplir), Conan laisse sur le cul en offrant à Schwarzy son premier rôle touchant (on pourrait presque parler de rôle de composition), où il jouera admirablement de son physique d'athlète mutique pour élever encore plus la réputation légendaire de son personnage, et proposer un deuil tout en subtilité, en nuance et en discrétion au travers d'un monologue en prière à Crom, le Dieu des dieux, sur fond de la sublime et de l'épique composition d'un Basil Poledouris déjà expert des bande-originales (Robocop et Starship Troopers assoiront plus tard son grand talent).


La destinée de cet être proche des dieux ne pourra ainsi trouver dans sa vie autre chose que la solitude du statut de roi : s'il a voué sa vie à la vengeance, y mettre un terme en tuant Doom le plongera dans sa propre malédiction, celle de devoir régner sur un peuple sans avoir droit à l'amour de cette femme qu'on reverra, fantôme presque divin, en secours resplendissant. Le Cimmérien devient plus martyr que héros, épousant sa destinée d'être solitaire afin que reposent en paix les êtres qu'il a aimés.


Parce qu'il est né dans le meurtre et qu'il a passé sa vie à tuer en réponse à son éducation d'esclave et au massacre de son peuple, Conan ne pourra jamais connaître le bonheur que son amour lui laissait entrevoir : dans le cinéma de John Milius, réalisateur et scénariste, la violence ne conduisant qu'à la violence et au malheur enfoncent le personnage dans une vendetta qui ne connaît plus de limites que celle de sa solitude en guise de dernière image, où l'on pourrait croire, si son regard ne traduisait pas sa peine infinie, que Conan terminait ses jours en paix : un être de violence ne connaîtra rien d'autre que la violence, s'il ne décide pas d'y couper court et de changer de vie.


On retrouve ainsi la thématique du guerrier solitaire, presque animal présente à la fois dans le cinéma de John Milius (Gene Hackman dans Retour vers l'enfer, malgré l'équipe qu'il monte, et le parcours initiatique de Martin Sheen dans Apocalypse Now) et dans celui d'Oliver Stone (Willem Dafoe dans Platoon et Mickey Rourke en capitaine de police chez Cimino pour L'Année du dragon) qui en s'alliant à d'autres guerriers solitaires suivra la trajectoire héroïque de son destin, résumée en un acte simple : accepter de faire des sacrifices, quels qu'ils soient, pour devenir ce que l'on doit être.


Et s'il ne pleure pas, après les avoir accomplis, c'est parce qu'il est Conan le Cimmérien, et que nous l'avons suffisamment fait pour lui.

FloBerne

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