Deep End fait partie de ces films d'une grande richesse, dont on ne perçoit pas forcément tout à la première vision, et dont les analyses lues ensuite (ainsi que les bonus du DVD) décuplent l'enthousiasme qu'il suscite. Skolimowski est un poète doublé d'un peintre, et ses images sont chargées de symboles. Un exemple : un plan montre Sue observant Mike dans un coin de fenêtre. Je n'avais pas remarqué deux lumières en fond, l'une verte et l'autre rouge, qui évoquent bien l'ambiguïté de l'attitude de Sue (feu vert - feu rouge). Ambiguïté clairement montrée dans le cinéma porno, Sue passant d'une claque retentissante à un baiser langoureux.


Ainsi procède Skolimowski : semant des indices visuels, qui se matérialisent ensuite dans des scènes. Au chapitre des symboles, il y a ces couleurs vives, représentant le désir de Mike, contrebalancées par le caractère délabré des lieux, à l'image d'un monde adulte qui ne tient pas ses promesses. Il y a aussi cette piscine, image matricielle par excellence, qui incarne le rapport à la femme - la psychanalyse n'est pas loin - et aussi le cocon rassurant dans lequel on se réfugie... mais aussi le monde des adultes dans lequel il faut se jeter ! Évoquons encore ce rouge apposé sur le mur par un ouvrier (pas le symbole le plus subtile celui-là, convenons-en), ou encore la neige carbonique sortie de l'extincteur, qui fait penser à du sperme - je penche pour ma part pour une éjaculation précoce dans la scène d'amour, même si Skolimowski choisit ici, avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité, la suggestion.


Le propos du film est là : la découverte du désir par un adolescent, et la violence que suscite la désillusion qui s'ensuit. Violence subie : pour n'en citer qu'une, la scène de la blonde et pulpeuse cliente, qui s'apparente à un viol, est stupéfiante. Violence qui s'exprime ensuite chez Mike en retour : par des lampes au plafond frappées rageusement (superbe plan), par un miroir brisé, par une alarme déclenchée qui fait saigner les mains (traduction de l'état intérieur de Mike, et annonce du drame final), par la "dégradation d'un bien public" - le wagon du métro londonien (là aussi annoncée dans une scène antérieure avec humour)... Et violence finale, presque douce, avec cette lampe venant frapper le crâne de Sue (encore une fois annoncée par la scène des lampes au plafond), suivie de cette réaction incrédule de la belle. Le film se termine dans la douceur : la violence n'est pas intentionnelle, elle résulte d'une inadaptation de Mike au monde des adultes. La mort à l'enfance est aussi un passage obligé pour entrer dans le monde adulte. Skolimowski confirme également ici l'art du contrepied où il excelle, nous surprenant sans cesse. Normal qu'il soit un fan de jazz.


Moins joyeusement déjanté que Le Départ, ce film aborde une autre facette de l'adolescence, plus douloureuse. On y retrouve l'extraordinaire inventivité de Skolimowski, servi de plus par un chef op' de premier ordre, qui filme presque tout caméra portée, bien avant le steadycam, avec une stabilité et une fluidité impressionnante. Cf. la scène de la caissière de la boîte de nuit, où la caméra tourne autour de Mike avec grâce. Cf. les raccords astucieux, comme celui entre le parc (munichois) et le parking (londonien) juste après la course, réalisé grâce à des barreaux.


Un film qui me laisse moult images marquantes :
- la sortie de Sue des Bains avec son ciré jaune flottant, image d'un envol
- l'érotisme d'un soutien-gorge rouge entraperçu, ou de la position de Sue sur le bureau au téléphone avec son fiancé, se penchant vers la piscine (j'ai pensé à L'origine du monde de Courbet)
- le vendeur de hot dog (très moutardé toujours, allez, encore un symbole de la frustration de Mike) et son petit balancement de tête très drôle
- la tête du mannequin Sue prise dans la porte du métro
- le découpage de la scène du maître nageur, avec tous ces plans saccadés de jeunes filles et de gestes déplacés, montrant bien sa lubricité.


Et tant d'autres ! Oui, un très grand film, sur lequel on pourrait encore beaucoup écrire. Je recommande cette critique brillante :
http://www.dvdclassik.com/critique/deep-end-skolimowski

Jduvi
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le 7 déc. 2017

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Jduvi

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