"You forget the first rule of mass media. Give the people what hey want" crie Bond à Carver avant de sceller le destin de ce dernier. Les dirigeants d'Eon, maison de production de la saga 007, appliqueraient-ils ce conseil à eux-mêmes ? En effet, dans ce Bond où le budget a largement été dépassé, la production met le paquet pour en mettre plein la vue.
Mais pas seulement. Elle essaie aussi de rattacher le film à la réalité comme elle le faisait dans les années 80, touchant à la politique internationale, elle modernise son propos en quelque sorte. Elle cherche même plus loin en reprenant la base du scénario de On Ne Vit que Deux Fois, mais le peaufine en l'ancrant dans une réalité mediatico-politique.
Le feu d'artifice …
Reprenant le cocktail habituel, les producteurs avaient à cœur de faire un film explosif. Et explosions il y a. Il est vrai que certains se plaignent encore qu'il y a trop l'action, surtout à la fin, mais quand on y réfléchit, qu'attendre de l'ancien monteur de Sam Peckinpah ? Le film pointe clairement vers la modernisation du personnage et de son univers après la reconquête nostalgique avec Goldeneye du public à travers le monde.
Le premier point fort du film est son casting. Outre Pierce Brosnan, Judi Dench, toujours aussi à l'aise et Samantha Bond (eh oui) sont de retour.
Michelle Yeoh est une des femmes agent secret les plus convaincantes de la série pour deux raisons : son jeu est simple et reflète la force de Bond, notamment pour lancer des piques, et ensuite parce qu'elle sait véritablement se battre comme on le voit à de nombreuses reprises dans le film. On lui octroie d'ailleurs sa propre scène ou elle se passe aisément des services de 007. Si elle finit par se faire sauver par lui vers la fin du film, n'oublions pas que Bond est le personnage principal du film et qu'avant cela ils s'échappent conjointement, en coopérant de manière délicate, du repaire de Carver à Hanoï. De plus, elle lui demande de continuer la mission coûte que coûte et la réponse de Bond est claire "Never argue with women. They're always right" ("Ne discutez pas avec les femmes. Elles ont toujours raison"). Et personne pour dire que c'est un film féministe ? Charlize ? Quant à Jonathan Pryce, il incarne un vilain qui est, comme il le dit lui-même, "délicieux", et renoue avec la grande tradition installée depuis Donal Pleasance dans On ne Vit que Deux Fois.
Outre créer cette galerie de personnages, le scénariste Bruce Feirstein a dû se surpasser, car beaucoup de scènes devaient être réécrites au fur et à mesure du tournage, parfois dans la nuit. Il y a une chose qui a été demandé par Pierce Brosnan cependant. Le fait qu'il y ait une femme que 007 ait aimée à l'instar de Tracy ou Vesper. L'idée convient à l'histoire et ceci apporte encore du poids à l'intrigue.
Dans un autre domaine, une idée qui est finalement cohérente avec la couverture de banquier de James Bond est celle de le faire rouler en BMW Série 7. Pourtant, il y a de quoi crier au scandale si on aime sincèrement le personnage et si on connaît son histoire. Il y a heureusement un autre argument pour prendre du plaisir à voir le héros du film au volant de cette berline : la séquence d'action la mettant en scène est l'une des plus réussies et des plus originales depuis longtemps.
Le film bénéficie aussi de l'arrivée de David Arnold aux commandes musicales et il est vrai qu'il pouvait difficilement faire pire que son prédécesseur, tant la musique d'Eric Serra dans Goldeneye marchait contre le film. Ici, David Arnold trouve le ton juste et ressort gagnant en digne héritier de John Barry. C'est d'ailleurs ce dernier, indisponible pour composer la musique du film, qui l'avait recommandé à la production.
De plus, Roger Spottiswoode monteur mythique du non moins légendaire Sam Peckinpah, procède à une réalisation peu personnelle, mais tout fait efficace, à la manière d'un John Glen, lui aussi monteur avant de réaliser.
…cache le complot de l'édifice
Cette œuvre annonce les complots émaillant les médias tout au long des années 2000 et encore de nos jours. Ce parti pris est clair avec la réplique de Carver faisant référence à William Randolph Hurst : "You furnish the pictures and I'll furnish the war." Ce dernier étant pratiquement accusé d'avoir initié la guerre d'Espagne dans l'ombre à des fins médiatiques !
Le supplément au journal Le Monde du dimanche 5 et lundi 6 août 2007 allant avec le DVD édité par ce même journal, sobrement nommé Le Monde de James Bond, accorde même un article au fait que le scénariste et la production avaient eu une "intuition" concernant les évènements à venir (nous sommes en 1997 lors de la sortie du film), notamment les attentats du World Trade Center. L'article fait également référence au fait qu' "En 2001, la Chine força un avion américain à se poser sur l'une de ses bases après avoir ouvert le feu sur l'appareil". Et en effet juste après le générique film montre une situation comparable. 2001 a donc été une année riche en tension prophétisée par EON productions. Naïvement, l'article titre à côté de sa photo : "Carver annonce-t-il Ben Laden ?" alors que le film fait davantage : il parle déjà de complots avant que ceux-ci ne se déversent sur le net. D'ailleurs une scène du film se déroule au Vient-Nam, pays qui était en guerre contre les États-Unis pour un évènement qui n'a jamais eu lieu ! Il note tout de même le fait intéressant, et peut-être même peu connu, que Hambourg base de l'antagoniste de 007 dans le film, Carver, est également "le lieu où les hommes de Ben Laden conçurent le projet d'abattre les Tours jumelles …". Il faut bien admettre que même en 2007, écrire un texte de cette manière, c'est faire globalement preuve de crédulité de la part de son auteur, Jean-Pierre Stroobants. Mais n'oublions pas que le Monde est par ailleurs un médium, un organe de presse. Peut-être appartient-il lui aussi à Carver…
De plus, la Chine est mise en avant et ses puissants (comme le général) trahissent l'esprit même du peuple représenté par Michelle Yeoh qui triomphe d'autres chinois grâce à la tradition à travers sa pratique du Wing Tsun. Nous sommes donc orientaux contre orientaux et occidentaux contre occidentaux dans une lecture plus fine que le reste de la production des films d'action souvent dévolue aux seuls cinémas américain ou asiatique. Tous deux pouvant être soit patriotique, soit carrément nationaliste (La Chute de la Maison Blanche, Ip Man et bien d'autres). Il faut noter à ce propos que 1997 marque le retour d'Hong Kong dans le giron chinois. Un épisode de James Bond plus politique qu'il n'y paraît si on ne fait pas qu'attention aux diverses explosions.
En effet, 007 se tenait à l'écart de la politique pendant pratiquement toute la période 60 et 70, ménageant les Russes en remplaçant le SMERSH des romans par le SPECTRE plus tardif, les Américains avec le personnage de Félix Leiter. Les choses changent au début des années 80 avec le tandem M.G.Wilson/R. Maibaum au scénario, on se rapproche de la flamme des jeux de pouvoirs et on montre plus d'une fois que les ennemis ne sont pas toujours ceux qu'on croit, que les lignes diplomatiques sont floues (Rien que Pour vos Yeux ou Tuer n'est Pas Jouer). Les derniers volets avec Daniel Craig mettent d'autant plus les pieds dans le plat, que ces sujets sont devenus à la fois brulants et communs. Les années 90 voyaient clairement déjà ce côté politique renforcé avec Goldeneye même si, dans ce dernier, on fait appel à la nostalgie des spectateurs, on joue donc la sécurité. Dans Demain ne Meurt Jamais, il n'y a plus de camps, on ménage simplement les pays (il faut bien vendre son film) mais les personnalités, elles, sont attaqués en filigrane, car Elliot Carver ressemble à Ted Turner ou Rupert Murdoch et comme décrit plus haut, cite William Randolph Hearst lorsqu'il était soupçonné de provoquer la guerre d'Espagne. Tout comme celle que Carver souhaite provoquer entre les gouvernements chinois et américains. D'ailleurs le discours de ce dernier à Hambourg est un bon pastiche de ceux des véritables magnats des médias, géants industriels ou même des politiques en cheville avec eux.
En conclusion, un film qui a été jugé trop tapageur par certains, trop "Terminator" à sa sortie. En réalité, il démontre l'aisance de Bond à suivre les modes tout en les influant , et surtout à garder son âme en conservant sa trame ésotérique héritée de Fleming (cf The Bond Code ou certaines de mes critiques des autres films de la série sur ce site) et en introduisant de plus en plus de politique, de conspirations, les deux se liant dans l'ombre, thèmes qui seront de plus en plus développés par la suite dans la saga.
*À propos du titre de l'analyse : il s'agit d'une référence au titre original, victime d'une coquille, Tomorrow Never Lies