On aura rarement vu un tel exemple de déséquilibre qu’avec ce dernier film de Jaques Audiard, tout comme il serait passionnant de comprendre ce qui a conduit le jury de l’année dernière à lui accorder la Palme d’Or… Certes, la sélection fut décevante et les meilleurs films apparemment dans les sections parallèles, mais tout de même…
Audiard l’a dit lui-même, la sélection cannoise l’a mis dans l’urgence et il est arrivé sur la Croisette avec le sentiment que son film était perfectible. C’est le moins qu’on puisse dire.


Dheepan est, sur ses deux tiers, un très beau récit. Ce qui frappe de prime abord, c’est de constater la maturité que semble avoir acquise son réalisateur par la modestie du sujet qu’il exploite. A hauteur d’hommes, sans intrigue fracassante a priori, sans stars, il s’immisce dans la vie de ceux qu’on ne voit pas, les écoute dans leur langue et dresse un portrait véritablement touchant des tentatives d’intégration. Cette fausse famille couturée à la hâte pour obtenir ses faux papiers et son droit d’asile a tout à découvrir, et c’est avec un véritable tact que l’on restitue les embûches et les espoirs qui jalonnent son parcours. Dheepan propose ainsi un regard à la Lettre Persanes sur la société française, tout comme il traite des questions universelles de l’attachement, de l’amour, voire de l’humour. La violence est partout : dans le pays qu’on a été forcé de quitter comme dans celui qui nous accueille, et partout, c’est la sphère la plus proche de nous qui pourra nous donner la force de survivre. Cette thèse s’accompagne d’un véritable enjeu formel, celui de regarder les individus au plus près, et de donner la parole à tous les protagonistes, quel que soit leur camp. L’empathie et la pudeur d’Audiard, faits nouveaux, lorgne alors du côté des frères Dardenne, dans des échanges d’une grande justesse où la barrière de la langue exacerbe l’humanité et la solidarité, et qui contribuent au sentiment réconfortant d’une véritable reconstruction. De la même manière, l’évolution des échanges entre Dheepan et sa fausse épouse évite bien des pièges, et la circulation d’un bouquet de jonquilles au sein de la « famille » est une des très belles scènes de cette fragile et délicate intrigue sentimentale.


Seulement voilà : Audiard fait du Audiard. On ne sait pas si la finalité du film était de toute façon prévue à l’avance pour retourner sur les rails de ses petites obsessions, où si un brusque revirement d’écriture l’a fait rechuter. Toujours est-il que le cinéaste ne peut s’empêcher de dériver vers un thriller à la fois décousu (le retour du général qui veut enrôler Dheepan est une fausse piste qui ressemble vraiment à une erreur de montage), convenu et grotesque.
Pourquoi grossir à ce point le trait sur la vie des banlieues où les échanges de coups de feu semblent le lot quotidien ? Pourquoi réveiller la bête dans le gardien et faire de lui cet être invincible qui peut tout autant réparer un ascenseur que faire exploser une cage d’escalier ?
La dernière partie du film est un ratage et une rupture totale dans l’équilibre général, comme si le cinéaste n’assumait pas son changement de cap, pourtant si maitrisé. Sang, scènes d’action où certes, des tentatives de mise en scène émergent, comme celle de mettre hors champ le sort des victimes, tout cela n’a pas grand sens. Qu’on nous explique par exemple comment le gardien d’immeuble se retrouve avec une machette au milieu de son matériel de ménage…se transformant soudain en une sorte de vengeur venu nettoyer la cité, tout droit sorti des plus mauvaises séries B.
Spoiler


Le film est déjà sérieusement ébranlé lorsque arrive cette dernière séquence sur l’Angleterre, qui achève définitivement de le décrédibiliser : la France, donc, c’est les cités aux mains des gangstas armés jusqu’aux dents, l’Angleterre un quartier résidentiel où il fait bon vivre, et l’abondance nous pousse à nous reproduire dans l’harmonie. Voilà qui ne va pas régler le problème des candidats au départ à Calais.


La question finit par se poser : et si cette modestie, cette maturité qu’on prêtait au cinéaste n’était qu’une feinte pour aller chercher une légitimité encore plus grande ? Et si, à l’image de cette fausse famille qui finit par l’emporter et devenir la norme enviable, Audiard avait usé de ce détour a priori anti glamour et commercial pour rafler la mise ?
Le pire, c’est que ça a marché.


(4.5/10)

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le 27 août 2015

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