Un des principaux reproches adressés à l'époque, de manière un peu hâtive ou au moins légère, est cette recherche frénétique du like sous toutes ses formes, sur toutes les plateformes numériques existantes.


Je suis sûr que vous voyez de quoi je veux parler.


Alors qu'en fait, les réseaux sociaux, culturels ou non, ne font que mettre en évidence un phénomène aussi vieux et universel que l'existence même de l'homo Sapiens, à savoir une recherche de reconnaissance qui prend de multiples atours, vise une multitude d'environnements (familial, professionnel, amical, artistique) et concourt paradoxalement à la survie de l'espèce.
L'homme n'existe qu'à travers ses liens et ses interactions.
Du coup, le seul vrai reproche qui devrait être fait à ce 21ème siècle chaotique naissant (et à la mise à jour ostensible de ce besoin vital) tient dans sa propagation absolue -je ne veux pas employer le terme de démocratisation- qui fait que celui qui prend en photo sa dernière production fécale attend le même type de retours chaleureux que le poète le plus délicat.


Sous une forme éprouvée et parfois infiniment délicate, les artistes n'ont jamais cherché autre chose qu'une forme de reconnaissance qui n'a jamais eu d'autre but que de flatter leur ego. Nombre de trajectoires incompréhensibles dans la carrière de chanteurs, écrivains ou cinéastes deviennent limpides quand on la révèle sous la lumière crue de la recherche d'amour et de retours favorables. Rester sur le devant de la scène. Dans le coup.
En ce sens sans doute (et si ce n'était le niveau parfois -souvent ?- indigeste de nos productions), nos comportements SensCritiquiens trouvent une rationalité rassurante, se révèlent bien familiers, compréhensibles et anodins (jusqu'à nos arguties sous forme de commentaires, qui projettent -tout autant qu'elles reçoivent- de troublants échos dans les débats, jalousies et rancœurs de soit-disant grands hommes).


Pour trouver une palme, suivre un migrant en banlieue, ça Dheepan


Quel pourrait être le rapport entre cette considération un brin verbeuse et la palme d'or de Jacques Audiard ? Et bien ceci: un regard cynique porté sur le film serait enclin à donner une grille de lecture éclairant la trame d'un scénario qui pourrait paraitre de prime abord bien déroutante. Se considérant (en partie à juste titre) comme un réalisateur important de son époque dans son pays, Audiard pourrait avoir eu envie, pour réunir critiques, spectateurs et gens de la profession, de combiner un aspect sociétal fort avec une forme de polar esthétisant. Jacques a (peut-être) dit: tapons vers le sous-continent Indien pour ne pas s'attirer les foudres islamisantes, et le tour serait alors joué. Le résultat assurera un maximums de likes croisés (entrées en salles satisfaisantes, critiques favorables, et prix dans un festival), mix magique entre projet populaire et écriture d'auteur.
Mais il ne s'agit là, je le confesse, que d'une théorie manquant cruellement de grandeur d'âme, bien personnelle, et facilement réfutable, ce que ne se priveront pas de faire les nombreux admirateurs du cinéaste, si d'aventure il leur arriverait de tomber sur ce texte indigne.


Et de fait, un certain nombre de choses sont assez réussies dans Dheepan, précisément quand le film ne raconte rien et se contente de décrire. Les conditions d'accès des immigrés dans notre pays, la nécessité qu'ils peuvent avoir de mentir pour se faire accepter, les obstacles (plus ou moins naturels) que rencontre une famille pour accomplir son intégration.
Et pour donner corps à ce constat social implacable, les acteurs principaux sont parfaits. Notamment Jesuthasan Antonythasan, qui compose un ex-tigre tamoul saisissant de retenue.


T'habites ou, tamoul ?


Les choses se gâtent quand le récit se noue. Tous les choix scénaristiques, dans un tel contexte naturaliste, posent soudain question.
Les problèmes de violence en banlieue existent, il serait singulier de prétendre le contraire, mais placer la famille Sri-Lankaise directement au cœur d'un tel vivier à fait divers ne peut pas être autre chose qu'un choix. Si ce dernier n'est là que pour servir une dramaturgie du coup curieusement artificielle, le coup est raté. Si cela est au service d'un discours sur la déliquescence du pays, la stupeur peut saisir le spectateur vigilant. L'humour des habitants des immeubles de la cité devient-il représentatif de celui du pays ? Sa violence est-elle celle qui définit l'époque ? L'ascenseur que répare Dheepan est-il celui, social, qui ne fonctionne plus depuis près de 30 ans dans notre douce contrée ? Les lourds nuages gris et constants qui plombent l'avenir des banlieusards devient-ils symptomatiques de ce que pense Audiard de la France quand on voit le soleil irréel qui baigne les personnages à leur arrivée en Angleterre (haha laissez-moi rire) ?
Le piège d'une première partie en forme de cinéma-vérité se referme alors sur ses scénaristes avec la rapidité d'une attaque de dealers en scooter. L'impression désagréable d'avoir été pris au piège d'une cité devenue soudainement terriblement factice, doublée de la frustration d'avoir vu la possibilité d'un grand film.


En parlant de frustration, vous pourrez sans doute m'aider à en faire disparaitre une autre, plus légère: quelqu'un connait-il la réponse à la blague qui est lancée sur le toit d'un bloc de la cité, et dont je n'ai pas entendu la réponse: pourquoi n'y a t-il pas d'arabes dans Star Trek ?

guyness

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