Amazing Grace
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Dogville se distingue d’abord par le dispositif improbable choisi pour la mise en scène. Lars Von Trier installe son film dans un décors théâtral au sens strict, sur un petit espace à fond noir, dont on ne distingue ni début ni fin. Quelques meubles sont disposés, sinon le reste (les maisons par exemple) est simulé par des lignes blanches, quelquefois accompagnées de légendes. Jamais un cinéaste n’avait imité le théâtre de façon si achevée. Cependant, les sons de l’environnement sont installés (surtout au début), là où Manderlay, film suivant de Lars Von Trier reprenant les mêmes procédés, sera encore plus austère et abstrait à la fois.
Un narrateur (John Hurt) guide le spectateur, dont l’attention est concentrée sur les personnages et le scénario. Le film se décompose en neuf chapitres (plus un prologue), construction récurrente chez Lars Von Trier. Le casting est essentiellement anglo-saxon et réunit plusieurs »stars » (une première pour Lars, excepté Dancer in the Dark avec Bjork et Deneuve, tourné un an avant), avec surtout Nicole Kidman dans le rôle principal. Elle est donc Grace, manifestement poursuivie par des gangsters et peut-être recherchée par la police, trouvant refuge dans un petit village au bord de la montagne, Dogville. Omettant toute explication pour ne pas mêler les gens à son secret, elle tente de s’intégrer en se rendant utile.
Le séjour de Grace à Dogville sera un calvaire pour Grace, poliment refoulée ou snobée, puis mise à l’épreuve, exploitée et finalement réduite à la détention voir à l’esclavage. Elle devient le défouloir de la petite communauté et l’otage des besoins de ces concitoyens refusant de l’assimiler ; à Dogville, il y a deux classes, les humains et elle. Si les hommes du village assouvissent leurs tensions sexuelles sur elle, son ange gardien Tom (Paul Bettany) n’est pas moins sordide. Cet écrivaillon en besoin d’affirmation se sent non-reconnu (et gratifié) par Grace, pour laquelle il considère prendre de grands risques. Lars Von Trier en fait l’humaniste pleutre par essence, armé de postures et gadgets (il prône l’ouverture à l’Autre) auxquels il croit sincèrement, mais lui servant de faire-valoir.
L’habit humanitaire et la conscience sociale affichée recouvrent une grande impuissance à comprendre la nature humaine, devancer les tendances, accomplir une introspection véritable.. Lars charge comme aucun autre ce personnage (dont la fonction sera reprise par Grace elle-même dans Manderlay) ; le reste des villageois est irrécupérable mais sa mesquinerie, ses ambivalences, sont plus ordinaires et limpides, surtout sitôt qu’on a largué toute croyance dans la domination universelle de la bonté humaine. Lars Von Trier frappe plus fort et plus loin que Le Ruban Blanc de Haneke sur un terrain similaire, mais sans avoir l’attitude professorale du réalisateur de Funny Games. Le totalitarisme sévissant à Dogville n’est pas le résultat d’un contexte historique donné, ni même géographique : le village en campagne rend la tyrannie de la majorité plus éclatante, il ne l’invente pas.
Le choc esthétique et conceptuel engendré par la mise en scène peut inquiéter au départ, la durée de la séance sembler exagérée. Et bien qu’il ait pu courir vers la catastrophe ou les abymes du cinéma d’auteur lourdaud, Lars Von Trier réussit à captiver. Le spectateur trouve rapidement ses repères dans ces décors minimalistes. Servies par les manières brechtienne de la démarche, les trois heures sont avalées sans peine ni regrets grâce au dynamisme et à l’intelligence de l’écriture. Cette puissance d’esprit alliée à la composition de Nicole Kidman engendrent cet état particulier où le spectateur oublie l’objet et est tout entier dans le sujet. C’est-à-dire qu’il fait abstraction du film en tant qu’observateur, pour réfléchir activement sur son contenu à un degré quasiment littéraire, sans se replier dans son esprit car le dialogue est vif et incessamment renouvelé. L’expérimentation est donc une franche réussite, au-delà du fond du discours. Toutefois il reste la sensation que Lars occulte un plus grand saut et préfère s’en tenir au développement, très instinctif, d’idées fortes.
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le 27 janv. 2015
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