El Aura
6.9
El Aura

Film de Fabián Bielinsky (2006)

Pour son deuxième film, Fabián Bielinsky déjoue les pièges du succès du premier : même si le mensonge et le braquage sont au centre de son récit, il ne sera absolument pas question de jouer la même formule. L’une des fausses pistes du film, la martingale au casino, pourrait en être un indice : la recette miracle n’existe pas, et il faut composer avec l’inattendu.


Celui-ci va prendre la forme d’un contre-pied assez radical par rapport aux Neuf Reines : d’un univers urbain et sur-signifiant, fondé sur un duo roublard, on passe à une nature contemplative et une solitude mutique. Ricardo Darin, aux antipodes de son rôle d’arnaqueur précédent, est ici un taxidermiste épileptique qui se voit entrainé dans une spirale criminelle à laquelle il aurait dû rester étranger. C’est là l’originalité et le parti pris du récit : ne pas jouer sur le twist, mais rendre compte au contraire de la façon dont la supercherie se met en place. Dans la belle séquence de fantasme de braquage, sous forme de jeu, Esteban met en place un ballet qui prend forme sous ses mots. La suite de l’intrigue lui offre sur un plateau un plan réel, duquel il va devenir le maître, reconstituant progressivement le puzzle avant de le mettre à exécution.


Les diverses crises du personnage accentuent les béances d’un récit presque onirique : endossant un rôle qui lui sied mal, en prise avec des truands bien plus expérimentés que lui, Esteban joue, mais avec inquiétude. La caméra, par de lents mouvements circulaires, dévoile progressivement un environnement duquel il a tout à apprendre. Lui qui s’occupait jusqu’alors des dépouilles à remplir pour leur donner l’apparence du vivant, va appliquer sa méticulosité dans un projet qui va empiler les cadavres.


La photographie souligne admirablement l’irréalité de cette parenthèse dans sa vie : l’atmosphère sylvestre, les routes à n’en plus finir, les longues plages de silence le mettent autant sur la voie d’un plan concret qu’ils semblent le faire quitter le réel.


Esteban voit son statut se modifier progressivement : rêveur du premier braquage, spectateur du second, qui se révèle déjà un échec, il organise sans entièrement le maitriser le troisième. Si Bielinsky joue avec les imprévus et les retournements, c’est davantage au profit d’une noirceur, voire d’une mélancolie, que de l’héroïsation de son protagoniste. Figure ambiguë du spectateur, ce dernier jouit de l’omniscience, sans parvenir à la transformer en actes éclatants.
De ce fait, l’épilogue, lui-même elliptique clôt la parenthèse onirique et presque ludique, dont il ne reste qu’un témoin, mutique, mais bien vivant, chien et loup, sauvage et domestique : un complice idéal de ce personnage hors-norme.


Un infarctus à 47 ans a fait de ce film le dernier de Fabián Bielinsky. A noter tour de fantasmer avec regrets sur ce qu’aurait été la suite de sa filmographie, qui commençait sous les meilleurs auspices.

Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Nature, Gangster, Les meilleurs films de braquage de banque, Les meilleurs films de 2006 et Revus en 2016

Créée

le 17 août 2016

Critique lue 744 fois

18 j'aime

2 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 744 fois

18
2

D'autres avis sur El Aura

El Aura
cinevu
7

El aura par Cinévu

El aura est un film étrange et hypnotique avec une construction particulière. On navigue en eaux troubles et dans un brouillard parfois sinistre. L’histoire prend son temps pour se mettre en place un...

le 15 juin 2015

2 j'aime

El Aura
MrMojoRisin
9

Que l'obscurité est lumineuse quand elle est bien filmée

El Aura : expression désignant cet état de perception avant la crise d'épilepsie, où le monde s'arrête. Une rupture "atroce et superbe" présageant de l'état d'inconscience dans lequel le sujet est...

le 10 sept. 2015

1 j'aime

1

El Aura
Maqroll
9

Critique de El Aura par Maqroll

Film de visionnaire, deuxième et dernier de Fabian Bielinsky, génial cinéaste argentin trop tôt disparu. Film qui palpite et qui bat, qui hésite et doute, film de lumière et de rosée, d’humanité...

le 17 juil. 2013

1 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

773 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53