Pour son deuxième film, Fabián Bielinsky déjoue les pièges du succès du premier : même si le mensonge et le braquage sont au centre de son récit, il ne sera absolument pas question de jouer la même formule. L’une des fausses pistes du film, la martingale au casino, pourrait en être un indice : la recette miracle n’existe pas, et il faut composer avec l’inattendu.
Celui-ci va prendre la forme d’un contre-pied assez radical par rapport aux Neuf Reines : d’un univers urbain et sur-signifiant, fondé sur un duo roublard, on passe à une nature contemplative et une solitude mutique. Ricardo Darin, aux antipodes de son rôle d’arnaqueur précédent, est ici un taxidermiste épileptique qui se voit entrainé dans une spirale criminelle à laquelle il aurait dû rester étranger. C’est là l’originalité et le parti pris du récit : ne pas jouer sur le twist, mais rendre compte au contraire de la façon dont la supercherie se met en place. Dans la belle séquence de fantasme de braquage, sous forme de jeu, Esteban met en place un ballet qui prend forme sous ses mots. La suite de l’intrigue lui offre sur un plateau un plan réel, duquel il va devenir le maître, reconstituant progressivement le puzzle avant de le mettre à exécution.
Les diverses crises du personnage accentuent les béances d’un récit presque onirique : endossant un rôle qui lui sied mal, en prise avec des truands bien plus expérimentés que lui, Esteban joue, mais avec inquiétude. La caméra, par de lents mouvements circulaires, dévoile progressivement un environnement duquel il a tout à apprendre. Lui qui s’occupait jusqu’alors des dépouilles à remplir pour leur donner l’apparence du vivant, va appliquer sa méticulosité dans un projet qui va empiler les cadavres.
La photographie souligne admirablement l’irréalité de cette parenthèse dans sa vie : l’atmosphère sylvestre, les routes à n’en plus finir, les longues plages de silence le mettent autant sur la voie d’un plan concret qu’ils semblent le faire quitter le réel.
Esteban voit son statut se modifier progressivement : rêveur du premier braquage, spectateur du second, qui se révèle déjà un échec, il organise sans entièrement le maitriser le troisième. Si Bielinsky joue avec les imprévus et les retournements, c’est davantage au profit d’une noirceur, voire d’une mélancolie, que de l’héroïsation de son protagoniste. Figure ambiguë du spectateur, ce dernier jouit de l’omniscience, sans parvenir à la transformer en actes éclatants.
De ce fait, l’épilogue, lui-même elliptique clôt la parenthèse onirique et presque ludique, dont il ne reste qu’un témoin, mutique, mais bien vivant, chien et loup, sauvage et domestique : un complice idéal de ce personnage hors-norme.
Un infarctus à 47 ans a fait de ce film le dernier de Fabián Bielinsky. A noter tour de fantasmer avec regrets sur ce qu’aurait été la suite de sa filmographie, qui commençait sous les meilleurs auspices.