Sur le terrain à la fois balisé et glissant des films sur l’intelligence artificielle, Ex Machina est une jolie surprise. Non pas tant par son originalité, puisqu’on y retrouve un grand nombre des attendus pour un tel sujet, mais par la façon dont il parvient à les traiter.
Alex Garland, pour son premier film, semble opter pour une forme de modestie, qui rappelle par bien des aspects celle de Duncan Jones dans Moon : huis clos à quatre personnages, le récit explore un labyrinthe architectural de toute beauté, et occasionne quelques respirations plus ou moins mensongères dans une nature luxuriante qu’on croirait sortie des îles paradisiaques de Jurassic Park.
Rivée à ce test de Turing qui ouvrait le modèle indépassable de Blade Runner, l’intrigue est maline dans le sens où elle ne cesse d’exhiber, dès le départ, toutes ses ficelles : il s’agit bien de confronter l’homme et la machine, les rapports entre concepteur et employés sont troubles dès le départ. L’I.A. n’a en ce sens rien à voir avec la voix somptueuse de Scarlett dans Her ou le visage angélique d’Osment dans A.I. : sa nature robotique est clairement montrée, tout comme l’univers carcéral, saturé de vidéo surveillance, jette le trouble sur les conditions de l’expérience.
La progression du récit suit des sentiers connus, voire galvaudés, et laisse un temps craindre la lassitude. Ce n’est pas tant l’idylle naissante entre l’individu et la créature, sujet attendu, qui fascine, que la figure du concepteur, un Oscar Isaac assez méconnaissable et redoutable. Ses certitudes, sa froideur, ses discours occasionnent des réflexions assez pertinentes sur ce qui fait l’humanité, de l’absence contrôlée de contrôle de Jackson Pollock face à sa toile à la soumission librement consentie de tous les utilisateurs de moteurs de recherche. Point culminant de cette figure du Dr Frankenstein, une scène de danse aussi charnelle que glaciale, admirablement gérée dans son déséquilibre malsain.
Puisqu’on ne nous la fait pas, et qu’on nous annonce dès l’entrée la manipulation, tous les cas de figure sont envisagés. L’intelligence du film n’est pas tant de nous surprendre que de jouer avec nos clichés, tout comme l’IA joue avec ceux de Caleb : avant lui, nous pensons qu’il pourrait lui-même être un cyborg. Avant lui, nous comprenons qu’il n’y a pas eu de loterie pour le choisir. Mais c’est justement ce jeu du plus malin qui enferme le protagoniste comme les spectateurs, et les faux semblants sont autant de chausses trappes qui laissent libre cours à la véritable intelligence, celle dénuée de sentiments, ou sachant composer avec eux pour parvenir à ses fins.
De ce point de vue, si la fin abuse un peu des twists, elle converge vers une beauté trouble tout à fait intéressante, à l’inverse des films traditionnels sur le sujet : c’est la conquête par le robot d’une humanité d’apparence, l’habillage par la peau, et la sortie vers le vaste monde, un carrefour où fourmillent les cobayes, ces individus que les machines considèrent déjà comme des primitifs.
Intelligent dans sa mise en scène, efficace dans sa claustrophobie, intéressant dans ses débats, Ex Machina est l’une des belles réussites de 2015.
(7.5/10)