Mais que vaut ce Ex Machina réalisé par l'une des nouvelles pointures de la science-fiction, à savoir le bouillonnant d'idées Alex Garland (scénariste sur 28 jours plus tard, Sunshine, Never let me go) ? Nous nous passionnons pour Caleb qui participe durant une semaine à un séjour où Nathan, un bad boy alcoolique et barbu, tente de percer le grand mystère de l'intelligence artificielle. Il a conçu Ava, un robot doté d'une intelligence et d'une sensibilité hors du commun... Au point d'avoir une conscience ? C'est là tout l'enjeu des investigations de notre blondinet Caleb...
Avant toute chose, le film est somptueux. Et il n'est pas seulement beau dans sa photographie enchanteresse et ses (trop) multiples reflets, effets de miroir, plans cadrés au millimètre près qui jalonnent le film et démultiplient les possibilités et les facettes de ses personnages, pas seulement transcendant non plus dans les instants de grâce qui ponctuent surtout la première partie du film, où la douceur des musiques d'atmosphère et l'extrême lenteur des travellings donnent un effet sidérant à cette aventure, de la technique naissent de purs moments sentimentaux - et par conséquent humains. Si cette force du film reste un peu basique puisque c'est tout l'enjeu du film de confronter l'artificiel à l'humain, elle est décuplée par les antagonismes croissants et pénétrants qui se créent sans cesse dans ce film, telle une lente confrontation vers un final d'une fatalité cinglante - et un peu décevante.
Ainsi peut-on remarquer des différences singulières dans les tons de couleurs (Nathan est toujours sombre et Caleb clair, le rouge infernal et révélateur lors des coupures et le blanc pur des locaux, le côté austère de ces derniers et la beauté de la nature au dehors etc.), dans les personnages (Ava bavarde beaucoup l'autre est muette, les deux personnages principaux ont des enjeux opposés, l'un avance face à ses propres sentiments l'autre pour le bien commun - dit-il, les femmes-objets puis l'inverse donc duel de sexes) et dans la mise en scène (le flou au second plan pour accentuer l'individualité de chacun, les décors très géométriques totalement contraires à l'irrégularité des courbes tant recherchées de Ava, les nombreux reflets crées qui scindent le réel en plusieurs morceaux). D'un point de vue factuel, et ne parlant qu'avec mon esprit plus ou moins aiguisé, cette partie était d'une pertinence monstre, le réalisateur faisant mouche à chaque fois - jusqu'à l'overdose, car plus le film avance et plus le mécanisme est visible et attendu...
D'un point de vue scénaristique, si la première heure était bluffante car le spectateur que je suis était totalement perdu et se laissait guider amoureusement comme le héros par ce sujet infini, le reste fut nettement moins à la hauteur. Terminant son film dans une espèce de thriller de bas-étage avec des rebondissements à foison et un changement de cap (tant au niveau sonore qu'au niveau du rythme), Ex Machina perd de sa superbe mais surtout de sa singularité. La fin est convenue et, même si elle est pour moi en accord total avec le reste (suite logique), ce n'était pas celle que j'attendais ni celle qui - je le pense tout modestement - était préférable pour mettre en valeur tant de questionnements qui laissaient jusque-là planer le doute et ne répondait pas vraiment à l'interrogation de l'intelligence artificielle. Dans ce changement radical de perception de l'histoire, on nous force à ne choisir qu'une option, le champ des possibles se rétrécit alors et le spectateur est pris au piège, lui qui était le maître contemplatif d'un tout - et c'était l'idée de base du réalisateur. On termine Ex Machina, et c'est là tout le problème. On a une réponse, c'est sans ambiguïté, la boucle est bouclée et l'imagination du public botte en touche. Le sens de l'équilibre se fracture et toute la mesure du film est rompue.
De ce casting, je retiens Oscar Isaac, impressionnant tout en instaurant un climat malsain et flétri, c'est un vrai tour de force, et Alicia Vikander, dont le visage appelle à l'empathie et aux doutes constants. Elle joue la rupture avec brio, comme un funambule ; qu-est-ce qu'il se passe à l'intérieur de sa tête, que ressent-elle ? Le spectateur ne sait sur quel pied danser, comme avec notre Bill de Harry Potter, dont je ne retiens qu'une indifférence sommaire. Une vraie belle réussite tout de même que ce Ex Machina dont la fin ne doit pas faire oublier les prouesses visuelles ni ce sujet complexe abordé avec une virtuosité impressionnante. Je suis conquis.