Et voilà, nous y sommes. J'avais gardé ce film pour ce moment, la 100è critique sur ce site communautaire. Excalibur c'est mon premier DVD. C'est le film qui sert à tester tous mes nouveaux lecteurs, mes nouveaux écrans. A titre personnel, commenter un film ne me pose pas de soucis majeur. Mais dès lors qu'on se rapproche de son "top 10", tout bascule. Le top 10 peut être le fruit d'une réflexion fine sur la nature même de ce que représente un bon film. Un bon scénario, une belle musique, de bons acteurs. Et bien ce n'est pas cette voie que j'ai choisi. Dès le départ, mon top 10 s'est avéré être une part de ce qui fait mon amour du cinoche mais aussi une part de moi tout court. Alors quand je m'attaque à mon Graal ...
Excalibur c'est tout d'abord une madeleine de Proust. N'attendez donc aucune limite dans mon amour pour ce film, aucune volonté d'être rationnel et juste. Fondamentalement, je peux lire les critiques mais je ne changerai pas : Excalibur est un film grandiose.
Nous sommes dans mes années collèges. A l'époque, je jouais aux LDVH, je m'attendais à une invasion soviétique et j'avais déjà monté mon réseau de résistance dans le futur réduit breton qui, valeureux, ne se rendrait pas. Je me souviens qu'une fois de plus le pion avait un mal fou à nous empêcher de hurler entre deux parties de babyfoot et de billard. Comme rarement en Finistère, il pleuvait dehors. Alors, le pion s'en alla. Il revint quelques minutes plus tard avec un magnétoscope et une cassette. Je ne le savais pas encore, mais j'allais basculer comme Conan m'avait déjà emporté avec lui, mais de manière encore plus irrémédiable.
Dans le bordel le plus absolu, le pion mettait tout en place. A ce moment là, je ne jouais plus, j'étais en 14, mort, occis, pourfendu, écrabouillé bref, hors jeu. A l'époque nous découvrions ces Livres Dont Vous Êtes le Héros grâce au cycle de la Quête du Graal. Le pion, il nous l'a dit plus tard, y jouait aussi et avait décidé ce jour-là de nous mettre sous les yeux les aventures que nous découvrions à travers ces pages aujourd'hui jaunies. Bref, je regardais le manège du pion lorsque celui-ci appuya sur play. Une constellation ; je reconnais Orion. Bien vu, le nom s'affiche. Chouette, un film de SF ! On n'entend pas grand chose et un cri retenti : LA FERME ! Nous sommes à une époque où ça marchait encore assez bien alors silence. Le son à fond, la musique s'empare de l'espace. Wagner, la Mort de Siegfried. Le tambour. Le texte. Comme Conan, nous plongeons dans des âges terriblement envoûtant, les âges sombres. Je découvris plus tard que ça n'avait rien à voir mais pas grave, j'étais happé.
Le sorcier Merlin
La venue d'un Roi
Une épée de pouvoir
Excalibur.
Irrémédiablement foutu. Bercé aux légendes bretonnes, le pion savait que nous n'avions aucune chance. Le pouvoir de la musique n'était même pas nécessaire, mon petit groupe et, bientôt toute la salle, se tût en considérant Merlin émerger de la brume. Bataille violente, dragon, femme prise sauvagement, bataille sauvage, code d'honneur, violence, amour, trahison, charge désespérée, final grandiose : Excalibur est le premier film qui m'a fait pleurer.
Anal Nathrach, udhras beothadh, dochioll dian fe
Plus qu'un film, plus que l'histoire du Roi Arthur, Excalibur est la quintessence de l'épopée au cinéma. On se fout de savoir que les armures sont totalement anachroniques (mais au passage totalement raccords avec l'époque de Thomas Mallory et de son Roman, La Morte d'Arthur, que Boorman adapte ici), on se fout totalement de l'Histoire de cette Bretagne où l'Empire Romain s'est éteint. Excalibur est un rêve éveillé, bascule dans le cauchemar et s'achève en tragédie hors du temps. Boorman a pris le parti d'une oeuvre totalement surnaturelle, grandiloquente, flamboyante. Il ne traite pas d'Arthur dans l'absolu, mais de cet Arthur que Mallory rêvait au XVè siècle, en pleine guerre civile et encore plus d'Excalibur parabole d'une unité perdue ... On y verra un jeu d'acteur caricatural, des effets pompeux, un film qui ne supporte pas le poids de ses 30 ans. Et bien si. Et puis merde, je ne vais pas perdre de temps à convaincre les aigris.
Anal Nathrach, udhras beothadh, dochioll dian fe
Ici, la violence est belle. Ici, la tragédie grecque rencontre de plein fouet un moyen-âge crasseux, sublimé et fantasmé par Thomas Malory. Ygraine nous envoute, Perceval émeut, Morgane fascine autant qu'on la hait de s'attaquer ainsi à Arthur à la fois grand et naïf. Lancelot est beau et tragique, Uther est odieux et Merlin ... Merlin est le plus beau magicien de la création. Merlin le sournois, Merlin le perfide, Merlin le sombre et le clair, Merlin et le dragon. Plus jamais je n'ai vu tel magicien, Gandalf et Saroumane étant bien loin de lui arriver à la cheville.
Au-delà de Wagner et des Carmina Burana, de la photo juste géniale, le film vaut aussi, avec le recul pour ces acteurs jeunes et plein d'avenir dont certains seront des grands : Nicholas Clay, Paul Geoffrey, Gabriel Byrne et surtout l'immense Liam Neeson. La palme du bon goût ? Avoir fait du Dragon non une bête, mais une brume.
Anal Nathrach, udhras beothadh, dochioll dian fe
Une épopée sauvage qui n'a pas vieillie au même titre que celle de Gilgamesh. Là où un Kurosawa peint la pellicule dans Ran, Boorman use et abuse de la lumière, des éclats et des ténèbres pour s'imprimer dans nos rétines.
Exalibur est un fantasme, mon fantasme.
Anal Nathrach, udhras beothadh, dochioll dian fe
Ce jour là, le futur avait pris racine dans le présent. Merlin le savait. On ne peut résister au Dragon.
Si vous avez résisté au charme, reste l'intro.
http://www.youtube.com/watch?v=x7XGaoOlar8
Si vous résistez toujours, et bien dommage pour vous.
Et voilà, 100è critique bouclée. Pas la meilleure, assurément, mais je m'en cogne. Excalibur est le plus sublime de tous les films.