Johnnie To est un des réalisateurs les plus influents d'extrême-orient, s'illustrant principalement dans l'action et le polar. Sa carrière bondit en 1993 avec The Heroic Trio, même s'il met du temps à s'exporter dans certains pays : son premier film sorti en salles en France est The Mission. Fong juk aka Exilé est souvent présenté comme une sorte d'auto-remake de ce dernier. Cet opus sort en 2006, la même année que le diptyque Election. La quantité de travail abattue par Johnnie To est impressionnante, juste un palier sous le niveau de Corman dans les années 1960, ou de Takashi Miike à la même période.
Héritier loyal de Leone et de Peckinpah, ce western urbain passe pour leur rejeton maniéré et sans âme. La mise en scène a un côté ouaté, déniant les limites, simultanément très rigoureuse et éthérée. La séance se suit avec vertige et apathie, frappe par son aisance et par son énergie curieuse, manipulant des motifs 'absents'. Des thématiques claires, autour de l'amitié profonde, de l'honneur et d'un certain idéal de vie, sont employées, mais guère travaillées en elles-mêmes ; les rapports humains sont forts mais à un niveau théorique et fugace. Sur le plan intérieur, ces pantins ont peu d'intérêt ; ils ont une valeur immense en tant qu'objets en mouvement, instruments d'un drame poussés par la force de leur fonction. Les démonstrations affectives appartiennent presque au domaine des projections.
L'avantage c'est qu'il n'y a pas de graisses, ni humaines ni d'une autre nature – c'est l'antithèse du kitsch de Tsui Hark ou de la virtuosité tapageuse de John Woo. Très froid, peu engageant, Exilé l'emporte en laissant sa mécanique opérer, mettre en marche ses archétypes et ses prétextes. Johnnie To n'invente jamais rien sur le fond, pourtant sa signature est reconnaissable. Avec Exilé, la pauvreté du matériau est transcendée par une sophistication rare. Il affiche une complaisance ironique envers sa propre inertie, son attirail rebattu qu'il habille de façon personnelle, tirant vers une sorte de cynisme poétique, plus qu'un désenchantement. C'est un divertissement et les gunfights éclatants sont là pour qu'il fasse son office ; c'est surtout un défilé plein de langueur, parfois d'une grande beauté. Johnnie To est un Melville hong-kongais.
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