Johnnie To au paroxysme de la coolitude
Johnnie To, un des pontes du Ciné HK, qui lui n'est jamais parti tenter sa chance aux U.S.A contrairement aux autres esthètes Woo et Tsui Hark, excelle vraiment dans le polar mafieux sur-stylisé.
Exilé, la suite officieuse d'un de ses meilleurs films, The Mission, conforte encore sa place dans le cœur des cinéphiles.
Creusant sa fascination pour les gangsters classieux s'entretuant dans des fusillades incroyablement chorégraphiées, Exilés franchit dans la carrière de To un palier dans le cool.
Une liberté charmante
Profitant d'un cadre différent, l'île de Macau, To s'octroie une respiration salutaire par rapport à ses habituels polars.
Ici, pas de surpopulation, de fusillades sous les néons Hong-kongais, il n'y a qu'une ville déserte, faites de petites ruelles inhabitées. On n'y trouve que quelques mercenaires qui se toisent plutôt que de s'affronter, les rares policiers ne font que de brèves apparitions avant de fuir.
To sait aussi sortir de l'urbanisme fantôme de Macau pour s'échapper dans la nature sauvage. Les plus belles séquences, ou les plus inattendues, sont celles du groupe flânant dans les roches de l'île, digressant avec humour sous un soleil de plomb.
Narrativement, To démontre une capacité ensorcelante à relancer le déroulement des situations de manière iconoclaste, apparemment au hasard.
En effet, encore plus poussé que dans The Mission, la science des temps morts du réalisateur influe cette fois carrément sur le cours des péripéties. Ne sachant où aller, le gang se laisse guider par une pièce, tirant à pile ou face pour savoir où errer. On va à droite et pas à gauche, et on décide de ne finalement pas attaquer le fourgon d'or parce que la pièce en a décidé ainsi.
Mais le vagabondage n'a qu'un temps, et quand la femme et l'enfant de leur ex-camarade sont en danger, le groupe sait que leur honneur est en jeu, et ils sont prêt à jouer leur vie.
Un hommage vibrant à Leone et Peckinpah
To s'appuie sur la science de Leone pour dilater le temps, jouer sur l'attente, profiter d'un décor et ses différentes caractéristiques pour réussir d'incroyables scènes d'action. Par exemple, jouant sur l'attente tendue et les silences, l'ouverture d'Exilé, si elle n'est pas aussi radicale, renvoie au début d'Il était une Fois Dans l'Ouest.
Des Western Spaghettis de Leone, To reprend aussi quelques effets extrêmes, frôlant le comique et l'absurde pour le plaisir du spectateur. Ainsi, la canette que Roy Cheung ne cesse de maintenir en l'air en tirant dessus n'est pas sans rappeler la scène des chapeaux de Et pour Quelques Dollars De Plus.
De Peckinpah, et en particulier de sa célèbre Horde Sauvage, To reprend le thème de la chute annoncée d'un clan fascinée par sa propre mort. Aux cow-boys représentant la fin d'une ère se substitue le clan de Blaze et ses amis, tout aussi assoiffés de sang et suicidaires.
Comme La Horde Sauvage, Exilés se conclura logiquement par un baroud d'honneur sacrificiel, un grand moment de cinéma.
L'élégance du style de To
Si les polars de Johnnie To magnifie la violence, son style est cependant bien différent des ballets sanglants du patriarche John Woo.
Chez To, ce n'est pas tant la fusillade qui compte que l'avant et l'après, la parade des regards lourd de sens, la fluidité des gestes, et ce que ces interactions impliquent au sein du clan.
Tout concourt, un Scope majestueux, des mouvement de caméra racés, un découpage brillant et lisible de chaque action, pour démontrer de manière viscérale le brio des mercenaires pour la tuerie, en même temps que leur camaraderie inhérente.
Concrètement, chez To, l'esprit d'équipe se démontre par de menus détails, des petits gestes significatifs, comme se passer un flingue en pleine bataille, une bouteille, un cigare etc.
Avec Exilé, To radicalise les tics de son cinéma, et en y incorporant les hommages évidents pré-cités, il donne une dimension ludique et purement cinématique à son métrage.
On n'est plus dans la crédibilité, mais dans le cool le plus pur.
Le spectacle est total, les portes volent sous les coups de pistolets, on se relèvent après s'être pris quatre balles dans le buffet. D'ailleurs, le sang ne gicle pas, il éclate en poussière rouge, dans un mariage inédit et spectaculaire avec la fumée des coups de feu.
Si dans The Mission l'attention portée aux petits gestes donnait lieu à un moment de pause faussement indolent où les mercenaires jouaient discrètement au foot avec une boule de papier, dans Exilé, ce foot improvisé est d'une ampleur carrément plus imposante, c'est le début du gunfight final. Quand la canette de red bull est balancée, chacun la récupère en la shootant, c'est too much mais vraiment bon (le placement de produit est complètement raccord, pour des mecs qui s'apprêtent à passer l'arme à gauche, il est incontestable que "red bull vous donne des ailes").
La recherche du geste pur, de l'élégance, est telle que le groupe, dans une incroyable séquence muette décident, par intérêt mais surtout par respect pour la coolitude suprême du convoyeur, de s'associer avec lui et de l'aider à dégommer ses opposants. En gardant la badass attitude, avec son port classieux de lunettes de soleil et la clope au bec, il a gagné sa part du gâteau.
Dans Exilé, la violence des échanges de coups de feu n'est pas anarchique ou due au hasard, mais bien à une recherche esthétique permanente.
Une musique jubilatoire.
Plus travaillée que les solos d'orgue Bontempi de The Mission (inattendus mais finalement irrésistibles), la musique d'Exilé jongle avec brio entre rengaine rock minimaliste, mélodrame tragique et petits airs de western.
L'appel du pied à Morricone, lorsqu'un des persos joue de l'harmonica en regardant partir le clan dans la nuit, est particulièrement jouissif et touchant.
En somme, avec Exilé, To se permet une récréation jubilatoire, un polar qui profite de sa simplicité pour être d'une efficacité imparable.
Menant une carrière imprévisible entre comédies racoleuses, métrages improbables et polars radicaux, Johnnie To semble, comme le clan d'Exilé, se fier au hasard, tirant à pile ou face pour mener ses projets.
On prie pour que le sort lui fasse vite reprendre du service dans le même registre jouissif que ce polar iconoclaste. Car, s'appropriant avec cœur et espièglerie les codes du genre, Exilé imprime durablement la rétine. Irrésistible.