F&F, une étude intégrale, 4/8 : Make family great again

[Avec plus de 5 milliards de recettes, F&F figure dans le top 10 des sagas les plus rentables de l’histoire du cinéma. L’occasion de pleurer sur le septième art, de se questionner sur ce qui fait son succès, ce qu’il dit du monde qui la plébiscite et de son évolution au fil des exigences fluctuantes du box-office. Une saga critique en huit parties]


On pourrait croire que le succès de la saga Fast & Furious tient à une combinaison savante de testostérone, de pistons bien huilés et de pectoraux saillants. Mais n’oublions pas que l’Oncle Sam est à la production de la franchise, et que, quoi qu’on fasse, il faudra bien vendre des valeurs. Et lorsqu’on y regarde de près, les films en sont gavés comme le sont les cookies big chunk que ce même pays distribue sur la planète entière.


On commence en douceur, avec la figure du patriarche qui rode forcément, réjouissant les adeptes de Will & Sigy (Shakespeare et Freud, of course) : Dans FF1, Toretto a vu son père mourir dans un course, et la voiture à l’origine du trauma aura bien entendu la fonction du fusil de Tchekhov. Dans FF3, on reprend la même idée, avec le paternel militaire qui commence par fustiger son fils casse-cou (qui expliquait à sa future girl friend “The day I got my license is the day I got my first speeding ticket”) avant de venir l’aider par un soutien massif, puisqu’il brandit un gros gun pour le sortir de la mouise, puis l’aide à retaper la voiture familiale pour la course finale.


On passera rapidement sur les sous-entendus qui pourraient contrevenir à certaines valeurs. On a parlé du respect du code de la route et de celui de la femme, on ne s’étendra pas sur celui fait à la diversité, la course d’ouverture du FF2 étant en cela éloquente, dans la mesure où le chevalier wasp dans sa voiture blanche l’emporte haut la main sur la pub Benetton que composaient les impétrants à la victoire. Le noir fait du fric (FF2, FF3) ou profite de cet argent pour baiser et faire des vannes (à partir de FF4).


Mais n’oublions pas que nous sommes dans un milieu badass d’outlaws. On a beau nous jouer la carte du flic et du truand, les deux protagonistes ont flairé le bonhomme face à eux comme le ferait un cerf en période de rut : la loi, c’est pas trop la question, l’essentiel, c’est la manière dont on pose la marchandise sur le bois rugueux de la table. Ce dialogue édifiant (dans FF4) explicite toute la problématique des héros face à la moralité :


Brian O'Conner: Y*ou asked me why I let Dom go. I did it, because at that moment, I respected him more than I did myself. One thing I've learned from Dom is that nothing really matters unless you have a code*.
Mia Toretto: And what's your code, Brian?
Brian O'Conner: I'm working on it.


Attention, on est tout de même lucides, puisque Mia met le héros face à ses contradictions :


Maybe you're lying to yourself. Maybe you're not the good guy pretending to be the bad guy. Maybe you're the bad guy pretending to be the good guy. Did you ever think about that?” Mais la réponse courte et définitive étant la spécialité de Brian (ici, en l’occurrence, “Every day”), le débat est considéré comme clos.


Mais qu’importe la loi, lorsqu’on a une philosophie ? Nos valeureux racers ont découvert une éthique : celle de la liberté procurée par la course : 10 secondes de liberté, de suspension du temps qui leur fait braver la médiocre condition humaine (dans FF3 : “Like everything else just disappears... No past and no future... No problems. Just the moment...”). Le lien à la machine est essentiel, et justifie un jargon que la masse ne comprend pas, mais admire : on compare les bolides à la nana qui sourit tout le temps (Mona Lisa, dans FF3), et la relation à eux à un mariage (et Parker de préciser, dans FF6 : “but with cars when you trade up they don't take half your shit”).


On aurait néanmoins tort de fustiger chez les chauffeurs un quelconque égoïsme crapuleux et immature : la bande, qui ne cesse de s’élargir, est une FAMILLE. Toretto, son patriarche, le martèle d’épisodes en épisodes. Dans FF5, alors qu’ils ont la DEA et les Cartels au cul, ils sont dans liesse de savoir Mia enceinte, et forgent un beau projet : dépouiller le plus gros narco trafiquant de l’Amérique Latine et vivre avec son fric, fric devant lequel tout le monde va sourire à la fin, Dom regardant vers le ciel en signe de gratitude.


La réunion familiale est devenu une tradition, et son bénédicité un moment structurant on ne peut plus sérieux (Roman, dans FF6, au terme d’une longue litanie : “Father we give thanks for all the choices we've made because that's what makes us who we are, let us forever cherish the loved ones we've lost along the way; thank you for the little angel, the newest addition to our family, thank you for bringing Letty home, and most of all thank you for fast cars.”), et Toretto devient presque une sorte de Dieu, voir à ce titre le prologue de FF8 dans lequel il gagne à la loyale contre un métèque à Cuba et fait don de son superbe engin en colon adulé, avant qu’on ne lui rende la pareille en fin de métrage. Toretto et sa valeur ultime, la famille (“You don't turn your back on family, even when they do”), aubaine pour les scénaristes qui pourront justifier sans ciller qu’on vole des codes nucléaires pour sauver son fils. De toute façon, ne nous inquiétons pas : on finira toujours par se retrouver autour d’un barbecue fédérateur, l’occasion d’une ode aux vraies valeurs et d’un placement de produit pour la Corona. Vive l’Amérique.


La suite, c'est vendredi prochain.


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Sergent_Pepper
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le 21 sept. 2018

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