Le drame des films futuristes réside dans leur condamnation à s’inscrire dans le passé : ainsi d’un temps à venir qui finira par advenir, qu’il s’agisse du Metropolis de Lang, du LA de Blade Runner ou du 1984 de Georges Orwell.
Que devient le futur lorsqu’il est dépassé ? Telle est la question superbement tragique que pose involontairement l’anticipation, et qu’illustre superbement Ghost in the Shell. Tout ce qui relève de la technologie sera irrémédiablement désuet : on reste dans une bonne vieille animation du XXème siècle finissant, et la naïveté presque primitiviste avec laquelle elle donne à voir les modélisations numériques.
La question, pourrait-on dire, n’est pas là ; mais, en réalité, elle a son importance : car le souffle triste qui infuse ce film, de son rythme à ses questions de fond, de son imagerie aux déséquilibre de son intrigue, se joint à cette mélancolie d’un temps qui passe et au délitement des repères les plus essentiels.
On pourra louer l’atmosphère cyberpunk, les fusillades et le design général d’une ville démesurée comme la SF aime à les fantasmer ; on pourra s’extasier devant ces courbes à la perfection presque suspecte, et l’agilité avec laquelle les humanoïdes mènent leurs batailles.
Mais l’essentiel transcende, et de loin, ce cahier des charges finalement très convenu en la matière.
La musique de Kenji Kawai est un guide essentiel : contemplative, scansion d’un cœur feutré, sorte de requiem synthétique troué de chants nous renvoyant aux origines du monde, elle agit la plupart du temps en contrepoint de ce que l’image nous offre. Ainsi de cette séquence de poursuite urbaine accompagnée d’une guitare aux accents presque hispaniques, de ces plans fixes sur des canons dans l’attente d’une mise à feu, de ces longs panoramiques sur une ville trop haute, trop vaste, trop fatiguée par sa rouille et ses exhalaisons pour être humaine. Le rythme de Ghost in the Shell, que d’aucuns pourraient attribuer à son âge et à son appartenance à une époque révolue, fait toute la force de sa tonalité.
Car, à bien y réfléchir, les pistes complexes des réseaux militaro-politico-industriels se délitent rapidement, et la structure même du récit semble progressivement contaminée par cette torpeur mélancolique : l’invisibilité thermo-optique, d’abord, puis la question centrale du ghost, qui renvoie à la conscience avant d’évoquer le concept d’âme, nous mènent vers le point névralgique du film : l’immatérialité.
Soit, d’un côté, l’émergence d’une conscience nouvelle, celle d’une identité pourvue de mémoire, née de l’océan de l’information, et qui peut habiter différentes incarnations ; de l’autre, une humanité dépassée par ses propres inventions, et qui ne cesse de se mutiler, de s’adjoindre des attributs cybernétiques.
Les plus belles images sont ainsi une sorte de catharsis de la post-humanité : c’est ce corps-à-corps entre Motoko et un tank qui, après avoir mitraillé de mille cratères les origines fossiles de l’humanité marquées sur les parois, démembre la belle à qui nous, pauvres humains, nous étions attachés malgré tout. Le ralenti plastique fulgurant, l’absence de douleur qui lui succède, et qui nous contredit, nous met face aux enjeux réels de cette genèse trouble : Ghost in the Shell, trop court, n’est qu’une introduction.
C'est un faire-part de naissance qui annonce le décès des êtres que nous sommes, et que nous nous efforçons encore de qualifier d’humains.
(8.5/10)