Le premier film de Julia Ducournau ira fort et profond dans le gore trash, fatal ; afin d'amuser la galerie probablement, plus encore pour exprimer une révolte individuelle (congénitale ?), trop coûteuse et régressive pour se perdre en épilogues – voire en développements, d'ailleurs ils sont réduits au minimum – à terme, l'affaire tient sur une histoire occulte absurde (Laurent Lucas, pantin malheureux dans Calvaire et Alleluia, est décidément enfermé dans le glauque). La tension est constante, le film semble toujours sur le point d'exploser, il se décompose en une série d'interruptions arbitrées par des brutalités.
Au fond Grave pourrait tomber vers la fosse, son effondrement final y encourage ; mais à cause de son esprit et de sa forme il vaut mieux que les fantaisies sincères d'Uwe Boll. La réalisation est sous influence déclarée de Cronenberg et profite de l'éclairage du chef-op d'Alabama Monroe (Ruben Impens). Ducournau a du style, sait créer une ambiance même si sa manière de la tisser paraît négligée, sans doute car le focus est ailleurs. Son film est animé, ce n'est pas un simple coup, mais il manque de clarté. Il cultive une froideur qui reste théorique. La volonté de déranger est puissante, le rendu est surtout désagréable.
Les défenseurs avanceront que chacun devra reconnaître avoir été dégoûté. En effet : sortez un bras de la tuyauterie d'une vache, en traînant une motte brune dans la foulée, ça dégoûte. Est-on touché pour autant ? À deux sortes d'endroits Grave fait certainement vibrer : lorsqu'il s'attaque au corps ou fait peser la menace sur lui (gâteries d'excellent niveau point de vue 'exploitation') ; lorsque l'animalité éclate (moments les plus curieux et retentissants sur le plan émotionnel). L'humiliation filmée ressemble à une victoire interdite, comme une affirmation de puissance inacceptable qui aurait débordé, génère en soi une honte brûlante mais secrètement superficielle – s'il n'y avait pas le début de cette impression de se 'retrouver', il y aurait encore la satisfaction d'avoir à ce point rompu avec l'ignoble corps social.
Ce rattrapage des instincts est responsable d'un semblant d'épanouissement sur la fin, mais les artifices eux aussi atteignent leurs paroxysmes dans ces moments (concernant la musique, le 'stress' induit, le récit), comme si la vulgarité et les émotions 'normales', faciles et limpides, devaient réaffirmer leurs droits (par l'électro déjà ringarde, le rap féminin type Liza Monet devenu pompeux, les 'joies' caricaturales). Grave croule sous les écumes de la merde estudiantine (et un peu contemporaine dans la foulée – avec les parents végétariens), agissant sur ou contre elle au minimum – les courtes fuites fantasmatiques et le cannibalisme servent de contrepoints, restent étrangers. Les petites provocs viennent couper le vrai déballage – pour ça le coloc homo est un fournisseur sûr, comme plus largement la hausse de la libido de Justine (la niaise de bonne volonté comme son nom l'indique) – libido particulièrement malsaine ou exubérante forcément.
Ce spectacle donne à voir un mélange de certitudes en surface, valant pour l'art (et l'adrénaline) ; et d'engagement promis à plus tard. Dans ma peau a déjà été fait et son souvenir transforme Grave en accident – de ceux qui font dire 'à quoi bon' sans autoriser l'indifférence. Enfin l'originalité la plus complète (la plus profonde reste cette hargne crispée dans le scénario) est pour un terrain secondaire : l'humour (par exemple pendant la scène à l'hôpital). Concernant les bizutages abondants : Grave montre bien la dimension paillarde et tribale de ces festivités. Cependant dans ce domaine La crème de la crème valait mieux, étant également sensationnaliste sans être obsédé par l'exceptionnel ou l'anecdote.
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