"Tu me trouves bizarre, comme fille ?"
Se faire remarquer ou rentrer dans le rang. Voilà qui semble être la préoccupation principale de Justine, illustrée dès la scène d'ouverture du film. Elle se fait remarquer en ne prenant pas de "protéines", mais quand, par malheur, un bout de viande indéfinissable se retrouve caché dans sa purée, elle ne veut pas que sa mère aille se plaindre. Drôle de dilemme.
Un dilemme qui se retrouve au centre du film. Un film dont l'action se calque sur celle des rituels de bizutage. Or, que disent les étudiants ? Que le bizutage est avant tout un rite d'intégration, pour créer une cohésion. Pour former un groupe. Une unité. Or, Justine, une fois de plus, c'est celle qui se fera remarquer lors de ce rituel, en refusant de manger un rognon cru de lapin. A l'opposé, il y a sa soeur, Alexia, qui elle semble avoir renié ses particularités pour s'intégrer au groupe, se fondre dans la masse. Et qui va lui reprocher de se faire remarquer inutilement.
Grave, c'est donc l'histoire d'une jeune femme, à peine plus âgée qu'une ado, et qui est confrontée au problème majeur de l'adolescence : se fondre dans un groupe et développer sa propre personnalité. Jouer dans l'orchestre et être soliste en même temps.
D'ailleurs, le film joue à fond sur le thème de l'adolescence et de ses transformations. Transformation du corps, apparition du désir. Sauf qu'ici, tout est montré sous l'aspect de la bestialité (et quel meilleur lieu qu'une école vétérinaire pour montrer cela ?). Le corps ne change pas, il mue littéralement (voir cette scène où l'infirmière enlève la peau de Justine). Et cette transformation conduit Justine vers toujours plus d'animalité, de sauvagerie. Les scènes s'accumulent, que ce soit lors d'une soirée ou bien lorsqu'elle sautent littéralement sur son coloc' gay.
L'une des qualités de Grave, c'est son incroyable richesse. Outre ce qui a été déjà dit, le film racontera, entre autre, le rapprochement entre les deux soeurs. Cette même Alexia, qui ne va pas accueillir Justine quand elle débarque sur le campus, va se faire de plus en plus présente, d'abord comme la grande soeur qu'elle est, puis un peu plus, voire franchement trop.
Et c'est là qu'il faut parler de l'ambiguïté dans laquelle baigne tout le film. Ambiguïté du rapport entre les deux soeurs. Ambiguïté sur la nature exacte des femmes de cette famille. Ambiguïté sur ce à quoi nous assistons à l'écran. Cannibalisme ? Vampirisme ? Psychose ? Inceste ?
Quoi qu'il en soit, la cinéaste s'amuse à aborder de front des tabous, et c'est en cela que le film dérange vraiment. Parce qu'il se situe à la fois dans un contexte hyper-réaliste et dans la rupture par rapport à des codes moraux qui semblent universellement reconnus. Et parce que la réalisatrice n'hésite pas à nous montrer cela frontalement, sans rien cacher, mais en jouant sur le flou de la frontière morale. Le film fait mouche parce qu'il crée ce malaise et parce qu'il oblige le spectateur à se confronter à sa propre bestialité.
"Elle est elle-même".
Est-ce qu'être soi-même, c'est laisser libre cours à sa bestialité ?