Évacuons d’abord fiel et controverses qui n’ont pas manqué de fuser autour du film : remise en question de la relation d’amitié entre Don Shirley et Tony "Lip" Vallelonga, cliché du "sauveur blanc", récupération politique, Spike Lee pas content, et jusqu’aux tendances exhibitionnistes de Peter Farrelly resurgies des bas-fonds hollywoodiens et ce vieux tweet islamophobe retrouvé de Nick Vallelonga, l’un des scénaristes du film et, accessoirement, fils de Tony Vallelonga. Les évacuer donc parce que le film de Farrelly, au-delà de son doux académisme, de ses figures archétypales et ses polémiques que l’on aura droit de trouver ridicules, offre un magnifique road movie plein de musique, de rires et de douleurs aussi, de découvertes (de soi, de l’autre) et de poulet frit.
Alors que la réalité ne soit pas vraiment celle montrée à l’écran (on est ici dans une fiction, pas un documentaire), que la famille de Don Shirley enrage de quelques libertés prises, que des Oscars aient été remportés, que l’histoire de Don (un Noir) soit racontée du point de vue de Tony (un Blanc) ou même d’un extraterrestre ou même d’un chien, ne change rien au fait que le film, avec humour et gravité, se pose humblement en plaidoyer pour la tolérance qui, certes, ne fera pas évoluer les mentalités (depuis quand un film aurait-il ce pouvoir ?), mais qui a au moins le mérite d'exister. Green book s’appuie sur le schéma classique d’antagonismes (de caractère, culturels, sociaux et raciaux) entre deux personnages pour mieux les intervertir, les assortir, les abolir à la fin, prônant ouverture et acceptation des différences, ces mots qui aujourd’hui résonnent comme des sottises, des formules, des mots Bisounours, et pourtant si peu évidents, au quotidien, à mettre en pratique.
Alors dans l’Amérique ségrégationniste des années 60, c’était pire. Et ces mots-là on ne les utilisait pas, on ne les envisageait pas une seule seconde, même pour Tony qui, au contact de Don, de ce noir riche et cultivé, pianiste renommé dont il sera le chauffeur/garde du corps lors d’une tournée dans le sud des États-Unis (autant dire les cercles de l’Enfer pour un Noir), apprendra à changer sa vision du monde (en tout cas de l’Amérique) au fil d’échanges, de conversations et de situations parfois loufoques, parfois plus difficiles. Et parce que chacun a finalement besoin de l’autre, sans le montrer et sans se l’avouer. Don de la tchatche et des manières fortes de Tony, Tony de l’érudition (la rédaction des lettres à sa femme en mode Cyrano, tordant) et des bonnes manières de Don.
À travers les nombreuses humiliations subies par celui-ci, lucide et comme résigné sur sa "condition" (dormir dans des hôtels réservés aux Noirs, ne pas pouvoir essayer un costume, ne pas pouvoir manger dans un restaurant, refouler son homosexualité et se sentir extérieur à sa communauté) qu’il résumera par un lapidaire "Si je ne suis ni assez noir ni assez blanc, alors qu’est-ce que je suis ?", c’est une Amérique repliée sur elle-même et fière d’un héritage peu glorieux (esclavage et Ku Klux Klan) que Farrelly décrit et dénonce sans jamais (trop) forcer le trait et les violons. Et puis le duo Viggo Mortensen/Mahershala Ali fonctionne à plein régime, absolument parfaits dans leur rôle respectif d’italien goinfre et rustre tout droit sorti d'un Scorsese ou des Soprano et d’artiste réservé et distingué, mais un rien arrogant. Farrelly peut leur dire merci ; ils soignent les petits défauts du film en plus de nous ravir constamment.
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