Sous-survival existentialiste, avançant comme un thriller violent sous les oripeaux du teen-movie horrifique. Le troisième long de Jérémy Saulnier, réalisateur de Blue Ruin (2014), couvre un cinéma de genre teigneux et crasseux avec son style raffiné. Il semble s'installer entre les repères sans vouloir créer du neuf, refuse la fange du divertissement barbaque et brutal mais en évitant toute forme de complexité rasante. En résulte une jolie cohérence interne (soutenu par une organisation très rigoureuse) assortie d'un manque d'intensité (les enjeux comme sabrés le garantissent) et de personnages 'décalés' bien que crédibles dans leurs costumes (Patrick Stewart en leader cruel, sorte de fonctionnaire blasé prenant en charge ses skinheads).
Le film joue avec le surplace (sciemment et vigoureusement, pas par faiblesse). Les musiciens punk restent planqués puis reviennent dans la pièce au lieu de saisir les opportunités. Est-ce une guerre des nerfs ? Non, ils s'épuisent, gesticulent ; les autres en face (la fédération néo-nazie) sont en état de crise, mais calmes et organisés. Eux qui s'angoissent en viennent à philosopher ; quand la violence aura raison de tous, ces élans-là, ces diversions, perdront de leur valeur ; mais il n'y aura plus qu'un ou une survivant(e) aigri(e) pour le réaliser. Ironiquement la séance a des allures de long fleuve grave mais stable, à défaut d'être tranquille. Lorsque les pulsions éclatent, c'est la baston et le gore ; sinon, chacun dans ses tranchées, à entretenir ses armes et cohabiter avec sa tribu et son ego 'fini'. Green Room est une belle coquille absurde, avec ses ralentis lyriques, contemplatifs face à la Nature ou en contrepoint devant la crasse, puis sa préférence pour le réalisme 'clean' en général.
Comme pour Blue Ruin, les décrocheurs sont à l'honneur ; avec un côté paradoxalement lisse qui naît de cette séparation et de la proximité à un certain 'vide'. La mise en scène, originale, éthérée, donne l'impression d'être un peu loin de toute cette violence mais pourtant en train de l'accueillir. La sève de cette violence, dans ce qu'elle a de subjectif mais aussi prosaïquement de sensationnel, est comme négligée ; on la laisse jaillir et s'éteindre. Elle détruit des hommes et même la surface du monde est à peine perturbée. Ces gens sont tous un peu cons, ou des morceaux sans grand poids, sans 'vérité', que des masses subjectives, des imbéciles assertifs mais dans les marges. Là où le monde paraît 'épuré', dur. Green Room n'est pas passionnant, mais il interpelle avec son point de vue externe, zéro ; il propose une vue divine sans 'regard'. Cela donne un objet creux et sophistiqué, mais avec sa 'morale'.
https://zogarok.wordpress.com/2016/11/10/green-room/