Après le prometteur Blue Ruin qui ravivait les couleurs d’un cinéma de genre endormi depuis trop longtemps, Jeremy Saulnier récidive en s’attaquant au slasher/survival viscéral. Troquant la couleur bleue pour un vert bouteille esthétiquement glauque, il continue de construire son gimmick que deux traits en particulier caractérisent, avec talent, mais maladresse aussi : une photographie splendide et une narration en dents de scie.
Du talent, le jeune cinéaste en a à revendre. Formellement parlant, Green room est un véritable tour de force, une leçon de photographie et de gestion de la lumière. A son aise lorsqu’il place ses caméras, qu’il compose ses ambiances, il manque toutefois la transformation de l’image fixe au mouvement, et la plupart des séquences chocs de son film se contentent d’être furtives, l’homme n’est pas à l’aise lorsqu’il s’agit de filmer l’action à proprement parler.
Si dans Blue Ruin, cette gestion statique de l’image était de circonstance — elle épousait la lente agonie vengeresse de son protagoniste—, dans le cas du survival morbide qu’est Green Room, ses limites se font ressentir, comme le côté poseur de cette plastique trop parfaite que l’on aimerait plus rugueuse lorsqu’elle dépeint la violence. Car même si ma voisine de siège, si j’en crois ses petits cris stridents réguliers, a jugé très crédibles les saignées régulières à l’arme blanche orchestrées par des timbrés du caisson sur leurs pauvres victimes, je n’ai pu m’empêcher de les trouver trop propres, trop fonctionnelles. Comme si Jeremy Saulnier était trop appliqué et perdait un peu l’objectif premier du genre qu’il s’approprie, à savoir la fougue d’une poursuite, et l’ingéniosité éphémère d’une proie aux abois qui essaye de s’en sortir par tous les moyens à sa disposition.
Point de traque ici, ou elle est peu inspirée. Alors que le potentiel est bien là, laissant espérer une explosion radicale, elle n’arrive jamais vraiment. Certes les corps jonchent le sol à la fin, mais ils tombent tous les uns après les autres comme s’ils avaient été dézingués par une chaîne de production industrielle trop bien huilée. Un sentiment en grande partie causé par une gestion du rythme chaotique. Alors que la phase d’exposition est réussie —le décor est rapidement posé, et l’acheminement des victimes vers le peloton d’exécution parfaitement orchestrée–, dès que les masques tombent et qu’il est l’heure de rougir les lames, que la tension devrait logiquement s’accroître, elle retombe au contraire pour laisser s’évaporer le suspens. Les faibles proies mutent en prédateurs, retrouvent le sourire et se réservent même le droit de tirer leur révérence sur une boutade malvenue.
Pour autant, je n’ai pas détesté Green Room, bien au contraire, il est à mon sens l’un des plus dignes représentant du cinéma de genre actuel. Et même si cette bafouille laisse penser le contraire, c’est parce qu’en gros mangeur de bisseries radicales, j’attendais beaucoup de Jeremy Saulnier, après un Blue Ruin qui avait su me charmer malgré son côté poseur. Mais son nouveau film se fait à nouveau l’écho d’un cinéma de genre trop modernisé qui loupe un peu le coche en laissant malheureusement, ce coup-ci, la porte ouverte à un humour pince sans rire —ce qui n’était pas le cas de Blue Ruin et qui a pour conséquence ici de dédramatiser beaucoup trop la violence frontale qui l’entoure —, mais aussi et surtout, en privilégiant l’esthétisme à l’expérience proprement dite.
Green Room est un film carré mais tellement maîtrisé qu’il perd presque sa fonction première : émouvoir, malmener son spectateur, l’essorer et surtout lui donner le sentiment qu’il peut tristement croire à ce qu’il voit. Or ici, tout est propret, du lieu en lui-même qui est si esthétisé qu’on s’attend à voir une figure de mode venir y poser, aux acteurs qui portent gracieusement leurs membres déchiquetés — Imogen Poots y est tout sauf à sa place à mon sens—, qu’il est difficile de se laisser remuer. Certes les entailles chirurgicales sont réussies, la violence est bien de circonstance, et rien que pour cela, le déplacement en salle est récompensé, mais il manque indéniablement quelque chose… ce soupçon de brutalité, à la fois narrative, visuelle et motrice, qui ont permis à des films craspecs comme Maniac, Massacre à la tronçonneuse, Délivrance ou encore toute la production Rob Zombienne plus récemment, de marquer plus durablement les esprits.
Mais malgré toutes ces réserves, la séance a été plus que rafraichissante, et le grognon que je suis sera, sans aucun doute, de la partie pour la prochaine fournée, parce que se faire servir un survival/slasher, certes un peu gauche, mais aussi bien gaulé en salle, est foutrement appréciable.
6.5/10