HHhH sans Laurent Binet mais d'après Laurent Binet, c'est un peu comme un Disney live qui vise à s'éloigner du matériau de base pour ne pas en être la copie: le thème existe par ailleurs, que l'on a traité mille fois et qui trouve son originalité dans ce que le film adapte. Excepté que la volonté de se démarqué du livre/dessin animé de base fait que le film apparaît comme une nouvelle version de l'élément-source du matériau adapté au point de n'être qu'une nouvelle variante de cet élément-source et non pas l'adaptation de la vision spécifique offerte de cet élément-source par l'oeuvre adaptée. Pour faire simple: HHhH n'adapte pas vraiment HHhH mais crée une nouvelle variation sur Heydrich et Gabčik-Kubiš. Toute l'originalité propre au texte de Binet est perdue.
Pis encore, parfois, le film s'oppose à tout ce que revendique le livre: Binet recherche désespérément la plus grande véracité historique, revient sur ses scènes pour en critiquer l'aspect fictionnel; le film donne dans le fictionnel décomplexé à fond les manettes.
Prenons un exemple parmi tous ceux que l'on pourrait invoquer: le rôle de Lina Heydrich dans l'ascension de son mari. S'il est vrai que le livre souligne son implication pour tirer Heydrich vers le haut suite à son renvoi de l'armée (Heydrich retourne chez ses parents et pleure, jusqu'à ce que Lina intervient dans le livre / Heydrich pique une crise de rage noire et casse tout dans son studio solitaire comme un ado et, pouf, Lina fait apparition pour le dresser comme un chien dans le film), le film cherche trop à faire de l'épouse le mentor, l'étiologie, l'origine du nazisme en Heydrich. Binet écrivait pourtant: "La jeune Lina, à 18 ans, était déjà, d'après ce que l'on en sait, une nazie convaincue. C'est elle, prétend-elle, qui convertira Heydrich. Certains indices laissent à croire, cependant, que dès avant 1930 Heydrich était déjà politiquement plus à droite (sic) que la moyenne des militaires, et largement attiré par le national-socialisme. Mais évidemment, la version de la " femme-derrière-tout-ça" a toujours quelque chose de plus séduisant ..." En d'autres termes, le film adapte Leben mit einem Kriegsverbrecher de Lina von Osten bien plus qu'HHhH. Cela sans parler de la scène avec Himmler qui suit et qui ne montre pas les enjeux que lui prêtait le livre tout en réduisant un bluff magnifique fondé sur une méconnaissance des grades militaire d'Himmler à un petit tour de force tarantinesque où Heydrich cherche à montrer qu'il sait aussi bien diriger une ferme qu'une armée ...
Certes, une adaptation en film doit faire des choix, doit trancher dan le corps du texte, ce qui explique sûrement le fait que le film ne s'empare du livre qu'à partir du chapitre 25.
Mais ici, c'est la substantifique moelle de l'oeuvre qui a été retranchée: manque le je narrant, manque Natacha, manque ce regard rétrospectif et cet appel à s'intéresser davantage à la Tchécoslovaquie.
Critiquer n'est rien, remédier est tout. Aussi proposé-je ici ce que l'on aurait pu espéré du film. Je me demandais, à la lecture, comment l'on pouvait transcrire ce matériau si spécial, si Nouveau Roman, en film. Réponse: on s'est borné à n'adapter que les scènes d'action. Pourtant, en puisant dans un cinéma tout à fait populaire et commercial, une solution d'adaptation fidèle était possible: le cassage de 4e mur systématique à la façon - dit-on - des films Deadpool. Un style à la Hellzapoppin. Une scène puis un retour sur cette scène par des ombres spectatrices , accouchées d'un écran soudain révélé. Des allers-retours, des réécritures performatives, soit l'essentiel du roman. Car, aux exemples que l'on peut citer outre ceux déjà présentés, l'on voit clairement que le procédé n'est pas purement romanesque et qu'il était essentiel à l'adaptation d'HHhH. Sans quoi, quelle différence entre HHhH et Operation Anthropoid de Sean Ellis, Master of Spies du Colonel Moravec, Sept hommes à l'aube d'Alan Burgess, un article d'Edouard Husson sur Heydrich, Like a Man de David Chacko, Triple Agent d'Éric Rohmer, Les Bourreaux meurent aussi de Fritz Lang, Conspiracy de Frank Pierson, ou Dieu ne sait quelle autre oeuvre citée dans le livre de Laurent Binet ?
En sorte que, HHhH n'est pas un mauvais film, bien loin de là: la musique envoûtante, le casting impeccable et riche - Jason Clarke (Terminator Genesys), Rosamund Pike (Meurs un autre jour), Mia Wasikowska (Alice au pays des merveilles), Gilles Lellouche (Les Infidèles - Cocorico !), Vernon Dobtcheff (L'Espion qui m'aimait - voire cocorico aussi !), Jack O'Connell (Invincible), Stephen Graham (Pirates des Caraïbes) ou Noah Jupe (Wonder) - de bons effets, quelques plans très originaux.
HHhH est un bon film. HHhH n'est pas une bonne adaptation d'HHhH.
Pour un infra-roman, il fallait un infra-film.