On rit avec Molière des radins, des curés, des cocus, des hypocondriaques, des pédants et l'on rit car le grand Jean-Baptiste Poquelin raille des caractères, des personnes en particulier dont on ne comprend que peu qu'elles puissent en porter ombrage si ce n'est parce que la vérité, même caricaturée, blesse.
Voilà avec le Misanthrope, une pièce du grand comique qui fait moins rire, qui fait rire jaune!
Car s'il fustige les mélancoliques et les pessimistes, il fustige donc notre siècle pessimiste et noir de bile.
Mais surtout, dans cette pièce, Molière n'épargne personne: les francs pessimistes, de ce qu'ils voient et nous font tout voir en noir, les hypocrites optimistes, de ce qu'ils prétendent tout peindre en bleu pour cacher derrière cette couche de peinture tant leur inconsistance que leur caractère versatile.
Le Misanthrope interroge le social et la fausseté qu'il implique en bien comme en mal. Si bien qu'on ne sait vite plus qui est la véritable cible de Molière.
Rousseau condamnait plutôt Philinte, le joyeux philanthrope plus misanthrope qu'Alceste lui-même. Que dire de Célimène qui a probablement servi de modèle aux femmes infidèles et menteuses des proverbes mussetiens? Quid d'Oronte, qui incarne le déplaisir face à la critique pourtant acceptée, et du mystérieux scélérat qui est en procès avec Alceste, qui incarne cette même critique qui - juste ou non - est souvent très mal placée pour faire des observations? Quid également d'Arsinoé qui personnifie l'Evangile de Luc: il faut ne pas chercher la paille dans l'oeil des autres et se soucier de la poutre présente dans le nôtre?
Il s'agit de l'une des deux pièces où Molière se prend lui-même pour cible et reste de celles-ci la plus célèbre. Car derrière Alceste, il y a un Molière qui avoue que son art moraliste vient avant tout d'une misanthropie que lui inspire son siècle.
Le Misanthrope, c'est en définitive un ecce homo désespérément poli où chaque homme est pris pour cible puisque l'Homme est un loup pour l'Homme. Le Misanthrope, c'est l'Homme n'aime pas l'Homme.
C'est ce constat terrifiant qui porte cette pièce bien au-dessus des autres, n'étant plus une simple comédie mais un tableau de l'humanité.
Une comédie de la comédie.