Nous connaissons tous, même de loin, les Lautner, Audiard et leur valse de vedettes habituelles.
Tout univers a sa bible, son opus ultime, inégalable.
On a longtemps retenu le film fou furieux qui suivit Les Tontons flingueurs d'à peine un an, l'hilarant Les Barbouzes.
Ce film est probablement le deuxième bijou du genre. Mais il est bien des raisons pour lui préférer les Tontons flingueurs.
1. L'année de sortie et son contexte
L'année de sortie des Tontons flingueurs est une année qui a marqué l'Histoire du cinéma et du monde.
1963.
Les Tontons flingueurs sortent la même année que l'emblématique Bons baisers de Russie, adaptation sombre et nerveuse du roman de Ian Fleming qui était le roman préféré de JFK.
Ce même JFK, figure tout aussi emblématique de la guerre froide depuis son célèbre "Ich bin ein Berliner", qui s'est fait abattre cette année-là à peine quelques jours avant la sortie des Tontons, qui se fera à Berlin ouest où on a pu l'entendre prononcer sa célèbre phrase.
Assassinat marquant bouleversant le monde entier, mettant en relief les plus sombres aspects de la guerre froide, plaçant idéalement le spectateur dans un contexte d'espionnage et de gangsters, qui a sans doute fait les beaux jours des Tontons et des Barbouzes, éclipsant le mythe télévisuel britannique de science-fiction naissant du Docteur Who.
Contexte où l'on ne parle que de politique, de gangsters et de meurtres et où il faut trouver à rire. Mission accomplie pour les génialissimes Tontons flingueurs, adaptation d'une des aventures de Max le menteur de Simonin transfiguré en un reflet du temps qui invite à sourire du pire.
2. De beaux verbes et de sacrées gueules
Les Tontons flingueurs, c'est aussi pour la première fois la réunion des bouilles typiques de Lautner-Audiard. Des plus célèbres aux plus obscurs: Lino Ventura (le Gorille), Bernard Blier (l'ami de Gabin), Francis Blanche (le complice de Pierre Dac), Jean Lefèbvre (Fougasse à Saint-Tropez), Claude Rich (agaçant à souhait), Roger Dalban (en parfait majordome mais en mauvais anglais), un caméo étrange de Paul Meurisse (légende du théâtre et du cinéma français), ou encore le succulent Venentino Venentini dégoulinant d'ironie et d'humour noir dans ce qui reste le meilleur de ses rôles. Ajoutez de la dimension internationale avec la présence d'Horst Frank, sorte de Richard Sammel de l'époque, au surnom plus que provocant, faisant référence au célèbre roman alsacien adapté au théâtre par ses auteurs Erckmann-Chatrian.
Les Tontons flingueurs ne sont pas qu'une longue liste de têtes d'affiches mais aussi un foyer à citations incontournables. Pour dire vrai, le film entier est une citation d'Audiard:
"Mais il connaît pas Raoul, ce mec ! il va avoir un réveil pénible. J'ai voulu être diplomate à cause de vous tous, éviter que le sang coule. Mais maintenant c'est fini, je vais le travailler en férocité, le faire marcher à coup de lattes ! À ma pogne, je veux le voir ! Et je vous promets qu'il demandera pardon, et au garde-à-vous", "Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît!", "Bougez pas ! Les mains sur la table. Je vous préviens qu'on a la puissance de feu d'un croiseur et des flingues de concours.", "Vous avez sorti le vitriol?", "the room is ready, Sir!", "Mais dis donc, on n'est quand même pas venus pour beurrer les sandwichs !", "Non mais t'as déjà vu ça ? En pleine paix ! Il chante et puis crac, un bourre-pif ! Il est complètement fou, ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. Je vais lui faire une ordonnance, et une sévère… Je vais lui montrer qui c'est Raoul. Aux quatre coins de Paris qu'on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon Puzzle. Moi, quand on m'en fait trop, je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile !", "Alors, il dort le gros con ? Ben il dormira encore mieux quand il aura pris ça dans la gueule ! Il entendra chanter les anges, le gugusse de Montauban… Je vais le renvoyer tout droit à la maison mère… au terminus des prétentieux…", "y'aurait pas des fois d'la pomme? - Y'en a!", "Faut r'connaître... c'est du brutal !", "Trois morts subites en moins d'une demi-heure, ah ça part sévère les droits de succession!", "J'ai connu une Polonaise qu'en prenait au p'tit déjeuner. Faut quand même admettre : c'est plutôt une boisson d'homme…", "Touche pas au grisbi, salope!", "C'est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases…", "Allons vite messieurs, quelqu'un pourrait venir, on pourrait se méprendre, et on jaserait. Nous venons déjà de frôler l'incident.", "Je ne dis pas que c'est pas injuste, je dis que ça soulage !", "Je ferai donc mon panégyrique moi-même, c'est parfois assez édifiant et souvent assez drôle, car il m'arrive de m'attribuer des mots qui sont en général d'Alphonse Allais et des aventures puisées dans La Vie des Hommes illustres.", "Le Mexicain l'avait achetée en viager à un procureur à la retraite. Après trois mois, l'accident bête. Une affaire.", "Tomate, tu devrais envoyer Freddy faire un tour, il y a une charrette dans le parc avec deux gars dedans... Ça fait désordre !", "J'ai une présence...tranquillisante.".
3. Une scène et un son cultes
Les Tontons flingueurs, c'est aussi l'une des plus célèbres et des plus réussies scènes de beuveries comiques du cinéma français avec Un singe en hiver et Bienvenue chez les Chtis. Les mafieux s'y retrouvent autour d'une table à beurrer les tartines de la nièce de leur chef, ce qui est déjà hilarant en soi, mais se mettent à boire un alcool peu orthodoxe dans une bouteille de Grand Marnier, alcool que l'un d'entre eux nomme "le vitriol"! S'ensuit une scène mémorable de dialogues de sourds et de souvenirs de gangsters gâteux à hurler de rire.
Mais c'est également un son particulier, aussi unique que celui du sabre-laser des volets de la saga Star Wars: le son des silencieux de leurs "flingues de concours" qui imitent à la perfection celui de bouchons expulsés d'une bouteille de champagne. Ce qui donne lieu à une scène de mitraille surréaliste autour d'un beau-père sourd qui ne réalise pas la situation périlleuse dans laquelle il s'est empêtré.
Encore aujourd'hui, Les Tontons flingueurs sont une véritable leçon de cinéma sinon une véritable claque, en un mot: un bourre-pif !