Industriel dans l’Amérique rurale, Jacke VonDorn est un homme pieux (affilié à l’église réformée hollandaise) et très traditionnel. Individu paternaliste, un peu pénible, bien obtus, il amalgame avec un sens inné de l’équilibre la discrétion (par sa retenue, sa modération) et la lourdeur (il s’insinue dans tout). Il peut être sec, il sera toujours fiable, il a bon fond, il est travailleur, sans mystères. Voilà qu’il apprend grâce au détective Mast que sa fille, partie pour la Youth calvinist convention, tourne dans des films pornographiques de seconde zone. Ni Mast ni la police ne l’aideront, il part donc seul la retrouver.
Scénariste pour les géniaux (au moins) Taxi Driver et Obsession, Paul Schrader a pu se lancer dans la réalisation dès 1978 avec Blue Scolar. Hardcore est son second film, un an plus tard. Avec une finesse et une profondeur cristallines, Schrader met en scène la mentalité d’assiégé, de dernier homme, que partagent aussi bien les îlotiers, les survivants que les prudes. Cette approche est orientée par l’axe de jugement préféré de Schrader : celui des mœurs. Ainsi Hardcore nous raconte l’angoisse d’un père et d’un homme issu d’une communauté préservée de la corruption et de l’immoralité du monde extérieur.
Précipité dans un monde où on se moque de lui et qui l’horrifie, Jacke fait, pour le spectateur, la démonstration des vertus de son caractère. Sa rigidité a le mérite d’en faire un homme droit et fort, indifférent aux considérations extérieures, ne cherchant que l’ordre et le salut. Il se retrouve dans le piège des bordels contemporains, destinés à extorquer contre des jouissances frustes et bien compartimentées, pas par ses propres soins (Edmond de Yuzna épiloguera là-dessus). Il découvre toutefois une alliée dans ce monde-là, Niki (Season Hubley) un substitut de sa fille, de son versant inconnu. Avec elle il arrivera aux portes du snuff-movie. Il cherche, interroge les gens, sans honte ni précaution : évidemment personne ne lui répond, parce qu’il frappe aux mauvaises portes.
Alors il se fait passer pour un entrepreneur cherchant à financer un film porno ; puis pour un réalisateur faisant passer des casting. Il emprunte le costume et reste à distance, en revanche, la résistance aux tentations, pas celle du sexe mais des pulsions de violence, devient consciente. Cette violence cependant lui permet de garder pied dans ce monde où sa vie est menacée. Il l’ignore, évidemment, mais il pourrait y revendiquer sa place de dominant ; il commet les abus intrinsèques de cette position (naturelle), par exemple en s’en prenant violemment à un partenaire de sa fille vu sur une photo, lequel n’est responsable de rien.
La présence de cet homme, dominant, grave, humble, inhibé, amène tout un lot de limitations, mais aussi une réassurance. Son monde d’origine, où règne un traditionalisme radical, n’a rien de méchant, rien de morbide. Il est juste une invitation à la résignation. C’est un univers très terre-à-terre, mélancolique mais sans troubles. Jacke en est la parfaite incarnation. Il est impossible de ne pas éprouver de l’empathie de Jacke, même si son acception de l’harmonie est douloureuse à porter pour lui comme pour l’autre. Schrader le sait et se montre équitable dans son point de vue.
Ce que Jacke ne conçoit pas une seconde, c’est que sa fille pourrait être, sinon bien là où elle est, au moins volontaire. Peut-être que personne ne lui a retourné le cerveau, peut-être que c’est elle qui a souhaité s’engager sur la mauvaise pente ! Que les parents soient prévenus : à force d’être tenus dans la répression, un jour vos enfants imploseront ! Les parents comme Jacke ne sont pas des monstres, bien au contraire. Toutefois ils ne réalisent pas l’effet de leur attitude et sont coupables. Une emprise écrasante sans contrepartie, même soutenue par des intentions saines ou se voulant telles, poussera à un recours auto-agressif ou nihiliste à la liberté.
Les enfants opprimés sur-compensent de manière particulièrement agressive : ils ont eu tout le temps de percevoir les attentats possibles à ce rouleau-compresseur de la sérénité, au parfum si mortifère. Schrader dresse un avertissement sans condescendance : il nous fait respecter, sinon aimer, ce type. Le point de vue de Schrader est ouvertement »conservateur » lui-même, pas dupe ni de ses limites ni des règles du jeu. L’auteur se range avec son héros du côté de la fatalité, avec détachement et philosophie, en y trouvant une certaine légitimité, un charme aussi, même triste. Et finalement même les saints et les héros ne peuvent sauver les damnés.
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