Peu importe que vous soyez plutôt cuir ou velours, blonde ou brune, vertueux ou pêcheur, Hardcore ne fait que peu de cas de vos apparences, elles sont certainement trompeuses de toute façon. Du moment que vous pouvez aligner les biftons, les ruelles confidentielles d'une débauche sous toutes ses formes vous deviennent accessibles.
A l’origine de ce Hardcore au titre racoleur, que son pitch peu glamour ne fait pas mentir, se planque Paul Schrader, scénariste bien connu du milieu hollywoodien, auteur, s’il est besoin de le rappeler, du sulfureux Taxi Driver qui joue à peu de choses près dans la même cour —enfin peu de choses, Jodie Foster, Bob et surtout Scorsese aux commandes, ça change pas mal la donne quand même— qui prend pour l’occasion sa caméra dans l’intention de seconder sa plume en adaptant son histoire par ses propres moyens.
Une ambition honorable certes, mais c’est peut être en se confiant la mise en scène de son bébé qu’il l’empêche de prendre son plein impact. Si le bonhomme a de belles choses à proposer, il paraît évident qu’il est meilleur scénariste que réalisateur. Son film est solide dans sa narration, si l’on excepte son dernier quart d’heure très précipité (et peu cohérent) mais il manque cruellement d’identité, en tout cas d’un langage visuel plus marqué. Qu’on se rassure, l’ambiance poisseuse des seventies est bien là, tour à tour, New York, San Diego et leurs petites soeurs se parent de leur plus trash atours pour un ride en pleine jungle nocturne du plus bel effet, du moment que l’image reste statique. Mais dès qu’elle s’anime, que l’action s’invite dans le cadre, que les confrontations viriles se mettent en marche, Schrader est à la peine et montre ses limites.
En dehors de cette casquette de metteur en scène qu’il met un peu de traviole, il livre un portrait d’une Amérique de l’ombre qui ne manque ni de piment, ni d’intention. Il n’est en effet nullement question pour lui d’édulcorer son propos : quand il malmène ce père en perdition à la recherche sa fille, il va jusqu’au bout de ses idées. Et elles ne sont pas vraiment de l’ordre du conte de fée comme en témoigne cette projection privée où le géniteur retrouve enfin sa chère et tendre, objet inanimé balloté par deux surdoués de la cabriole. Encore aujourd’hui, cette première confrontation entre l’homme préservé jusque là d’une société de dépravation et le vice de cette dernière, inspire le malaise. Quand la frêle adolescente passe de bras en bras, perdant dans la bataille les quelques breloques encore porteuses de l’innocence due à son âge, l’ambiance est au plus mal, et la quête du charismatique George C. Scott devient on ne peut plus légitime.
Cette intention très frontale de faire la lumière de ses objectifs sur l’Amérique Hardcore à travers un choc des cultures radical ne s’atténue à aucun moment, si ce n’est au moyen d’un humour éphémère agréable qui permet à la tonalité dépressive de s’estomper le temps d’un sourire. D’aucun penseront toutefois que l’assaisonnement est un peu exagéré, notamment lorsque le bénitier poseur de question débauche une tapineuse pour retrouver sa précieuse, mais il permet à Schrader de s’échapper de sa trame première. La relation qui lie ce père déterminé et sa fille oisive n’est finalement pas ce qui l’intéresse en premier lieu. La fin tend d’ailleurs à prouver ce désintérêt, poussive, bâclée en l’espace d’une quinzaine de minutes, presque mièvre, en décalage avec le reste d'un propos sans concession que Schrader a toutefois eu bien le temps de développer, même si l’on pourra regretter qu’en tant qu’auteur, il se contente finalement d’observer sans vraiment afficher son sentiment.