Quand Paul Schrader s’attèle à Hardcore, il n’a que 33 ans mais déjà une sacrée carte de visite. Scénariste de Yakuza, Taxi driver, Obsession et Légitime violence, il a aussi mis en boite lui-même, l’année précédente, son premier film, Blue Collar. Autant dire que l’avenir du garçon semblait tout tracé. Si sa filmographie s’est, au final, révélée bien inconstante, ce second effort est certainement son meilleur film. Par bien des égards, il évoque Taxi driver où un homme déconnecté de son époque se heurte avec violence au quotidien de désœuvrés. Mais George C. Scott n’est pas Robert de Niro. Là où le solitaire Travis pétait les plombs, le personnage de George C. Scott s’accroche à la morale que sa religion lui a donnée. Lui, le pur Ricain puritain, chef d’entreprise, célibataire endurci qui élève seul sa fille dans un coin paumé de l’Amérique profonde, se fracasse la tête le jour où il apprend que sa fille a fugué pour rejoindre l’industrie de la pornographie dans la grande ville.
Le voilà alors plongé dans un monde qui lui est inconnu, ce monde des villes, ce monde de la nuit, ce monde sans morale où on vend son corps comme lui vend les produits que son usine fabrique. Ébranlé au plus profond de ses convictions, il s’efforce cependant durant tout le film de passer outre son écœurement de ce monde déliquescent pour retrouver sa fille et la remettre dans le droit chemin après cette escapade. La confrontation des deux mondes, celui de George C. Scott et celui de la faune hollywoodienne, fait le sel d’un film qui, malgré tout, se repose parfois un peu trop sur cette vision totalement antithétique. Parfois amusante, elle nourrit surtout un drame qui renvoie les États-Unis à sa propre dualité. Deux Amériques qui cohabitent, la traditionnelle et la décadente, et qui finit par se fracasser l’une contre l’autre.
C’est peut-être dans ce fracassement que ce Hardcore échoue quelque peu. On aurait certainement aimé que George C. Scott pète complètement les plombs lui aussi, qu’il se mette à flinguer pour nettoyer la ville de ses vices. Au lieu de cela, Paul Schrader préfère le confronter à ses propres contradictions, ce qui est bien vu même si le film ne semble pas tout à fait suivre la trajectoire dessinée. On retiendra cependant de cette descente en enfer, la visite de lieux incongrus saturés de néons roses, bleus ou rouges, cette peinture colorée de lieux interlopes et de personnages difficiles à cerner. En clair, le film éblouit par son réalisme et son refus de s’embarquer dans une action héroïque ou tragique qui aurait pu dénaturer le propos. Le parti-pris semble, du coup, trop puritain, ce qui peut gâcher le plaisir d’un film bien écrit et à la réalisation parfaitement maîtrisée.