https://zogarok.wordpress.com/2013/11/28/hellraiser-le-pacte/
Larry est un père recroquevillé sur son petit monde, son petit circuit ; il veut garder à soi sa fille, lui interdit de s’approprier quoique ce soit, la dissuade de travailler. Il l’éduque dans la perspective de ne pas l’ouvrir au monde ; puisque ce que pourrait offrir le Monde, lui-même en a peur ; il pourrait y trouver sa vraie nature. Et si Kirsty la trouvait avant lui ? Impossible !
Tout cela se déroule dans un climat de silence et de non-dits dont seule Julia semble avoir conscience. L’omerta familiale règne : il s’agit de garder nos frustrations et les trahir entre nous. Ce système va à l’encontre des aspirations de Julia, laquelle n’a aucune foi (l’a-t-elle perdue en rencontrant Frank) dans de telles valeurs.
La domination et les rapports de force
Hellraiser va ainsi à la source de la relation sadomasochiste ; le masochiste accepte la bêtise, les instincts ou le désir de sublime d’une autorité supérieure. Avec ses dialogues à double-tranchant, le film peint des caractères résolument humains, trop humains. Le premier rapport de force exhibé est celui concernant Larry et Julia. Bien que Larry entreprenne, fasse des projets, Julia entretient avec lui un rapport de supériorité, comme si elle s’adressait à un enfant dans la posture d’une mère castratrice. Aussi le rassure-t-elle pour sa blessure (connotée sexuellement par le montage du film), comme elle le ferait pour un gamin, pour son fils. Elle s’applique sans y réfléchir mais aussi sans aimer le faire ; sa réaction est simplement "normale", logique, évidente.
Mais les rapports de force se lisent également avec les hommes que Julia aborde dans le but de restaurer la forme physique de Frank. Julia ne quitte la maison, son antre parfaite entre morosité et perspective d’un dépassement mortifère et sensuel, que pour y revenir avec des provisions. Elle apparaît alors comme une femme fatale extrême, un produit très "film noir", signant définitivement son style. Et quand Julia ramène une nouvelle proie, forcée et dévouée pour son Frank, elle pose la main sur son épaule, met en confort son hôte pour le convaincre de franchir un cap, autrement plus anodin que celui qu’elle a dépassé, puisqu’il s’agit de celui de l’adultère. Dans cette position, Julia semble se vendre à cet homme éprouvant de la honte, tout en restant maître du jeu ; elle passe avec lui un "pacte", inégal car elle connaît les vrais termes du contrat. Elle est le guide d’hommes effrayés à l’idée de transgresser le plus courant et banalisé des interdits occidentaux.
Ado typique du cinéma horrifique des 80s, sans être cette fois l’héroïne, Kirsty est un repère antagoniste, un bloc d’innocence. Ange compatissant (elle fait ses profits dans les sentiments), elle qui accepte un rapport de force défavorable avec son père, d’où elle tire un certain confort, ne peut instinctivement que ressentir le malaise et l’effroi à l’égard de ces transgressions trop fortes. Ce n’est pas leur caractère fondamental, mais bien leur virulence qui ravage son monde. Elle ressent toujours une suspicion à l’égard de Julia, perçoit des désirs torturés, sa violence inouïe derrière la sécheresse. Lorsqu’elle intervient pour empêcher l’horreur, il ne s’agit même pas pour elle de condamner ou de comprendre ; elle la rejette, purement et simplement, elle voit la monstruosité, accepte cette vérité, mais n’en tolère rien. Elle est comme immunisée, grâce finalement à sa simplicité, voir sa platitude psychique, son absence d’introspection, sa pureté superficielle.
Une esthétique profane
L’architecture de la maison a un rôle central dans le film. C’est le lieu où tout se déroule, un foyer où s’impose tacitement une hiérarchie, que l’espace reconnaît. Au-delà encore de l’étage où dorment les parents ou les adultes, trône le grenier qui renferme le passé d’abord, avec ses lourdeurs et ses totems, mais également le stade terminal de toute vie ; et l’univers où l’adulte est allé trop loin. Le grenier, le sommet, est le lieu du passage, pour goûter au plaisir ou recevoir la justice (au caractère divin dans les deux cas). Frank en descendra pour tirer vers cet au-delà de la vie ou menacer les sages parents ou enfants, notamment en s’infiltrant dans la chambre à coucher. Lorsqu’il se plaît à terroriser Julia en laissant supposer qu’il va s’en prendre à Larry, il la met dans la position du sauveur qui ne peut dire à la victime, dans une position infantile, qu’elle est en danger sans sa bienveillance d’une part, qu’elle-même a totalement rompu avec l’innocence dans laquelle elle se trouve.
Ce foyer est comme une cathédrale. La religion est partout, enracinée dans les esprits et dans les chairs. L’ambivalence règne à son égard (ridiculisée mais intériorisée), toutefois elle est presque une affaire seconde, une étoile morte qui a valeur de référence esthétique et bien sûr de base morale sévèrement dégénérescente. Dans la maison à l’arrivée de Larry et Julia restaient de vieux bibelots chrétiens, folkloriques et un peu ridicules ; le couple s’en débarrasse, pourtant ces objets n’ont pas dérangé Frank, le voyou. Plus loin une vignette christique prévient les brebis du danger qui rôde à l’étage. Elle récolte un regard de défi, une très fine grimace de dégoût, incontrôlée et presque invisible, de la part de Julia. A ce moment, l’installation dans la maison scelle la rupture avec les lambeaux du surmoi chrétien.
Toute son œuvre, avec Frank, retourne les interdits moraux. Et, plutôt que de se contenter d’abolir les rites religieux, elle la pervertit, s’empare de ses codes pour ériger une nouvelle norme à sa tête ; Julia et Frank ne se défont pas de leurs racines chrétiennes, mais ils les mettent en relief (les souillent, peut-être) et agrémentent leur forme ; Frank dissémine sa propre religion et Julia est son meilleur disciple, c’est même l’élève qui pourrait dépasser le maître, alors qu’il était d’abord timide, inquiet, pas sur de lui en franchissant le pas.