Dès le générique d'ouverture et son magnifique plan-séquence, on comprend que Histoire de fantôme japonais est bien plus qu'un film d'exploitation destiné à faire frissonner les spectateurs nippons des années 50.
L'histoire est une adaptation d'une pièce de kabuki très connue au Japon, et souvent portée au cinéma : Yotsuia Kaidan. C'est un récit où deux hommes japonais se servent du code d'honneur du samouraï pour assouvir leurs désirs, sans savoir que la femme et l'homme qu'ils ont tué reviendront les hanter.
La force du film est de dépasser cette histoire en créant une dynamique de mise en scène qui s'efforce de construire du lien entre le monde des morts et celui des vivants. Le travelling du premier plan post-générique en est un exemple : il y a au second plan la route, où les vivants déambulent, et au premier plan la boue, où les cadavres finiront.
Cette dualité est omniprésente dans la deuxième partie du film. Passé la scène de l'auto-mutilation de la jeune fille, d'ailleurs étonnamment gore pour l'époque et préfigurant déjà l'esthétique de la défiguration de Testuo (Shinya Tsukamoto), le film ne cessera d'être une alternance entre la réalité sensible des vivants et celle des morts, la seconde empiétant dans l'esprit des personnages sur la première.
Il en est ainsi du premier plan où Iemon voit le fantôme. En un panoramique, nous passons du personnage assis au fantôme allongé sur le plafond, grâce à un trucage extrêmement réussi (d'ailleurs, de manière tellement abrupte qu'on pourrait un peu le considérer comme un ancêtre du jumpscare).
Plus l'on approchera de la fin du film, et plus ce monde de la mort sera présent, jusqu'à s’infiltrer dans le montage. La séquence finale, remplie de plans superbes d'un onirisme macabre, fini de nous estomaquer par la maîtrise de Nakagawa.
Il est clair que c'est une vraie leçon de cinéma, où l'épouvante n'est jamais forcée mais intégrée consciencieusement à la mise en scène. C'est aussi une belle manière d'aborder la culture de la mort au Japon, autant du point de vue de la superstition qui l'entoure que du deuil. Cette manière d'intégrer les morts aux vivants rappelle énormément le contemporain Kiyoshi Kurosawa, particulièrement dans la scène où les deux sœurs, l'une morte et l'autre en vie, parcourent la campagne.
L'horreur du cinéma classique japonais réserve donc bien des surprises, et mérite amplement d'être plus connue en France.